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« La seule façon de réussir le Lyon - Turin est de le financer via l’eurovignette »
Publié le 24/06/2015 à 06h00
Hubert DU MESNIL

Entretien avec Hubert du Mesnil, président de Tunnel Euralpin Lyon Turin (Telt) Ville, Rail & Transports. Suite à notre éditorial publié dans notre précédent numéro, vous nous avez contactés pour réagir à notre propos affirmant que vous n’étiez pas un chaud partisan du projet lorsque vous étiez président de RFF…
Hubert du Mesnil. Je ne trouve pas qu’il soit juste de dire que quand j’étais président de RFF, j’étais contre le Lyon – Turin et que maintenant que je suis à la tête de Telt, je suis pour. Lorsque j’étais président de RFF, je ne me suis jamais opposé à ce projet. Sinon comment expliquer que nous avons fait autant avancer ce projet ? J’ai apporté mon soutien à la rénovation du réseau bien sûr mais en même temps, pendant cette période où j’étais à RFF, j’ai fait en sorte qu’aujourd’hui, en 2015, le projet soit prêt à être lancé.

VR&T. Vous rencontrez une forte opposition, particulièrement en Italie. Comment y faites-vous face ?
H. du M. Le fait de débattre, d’argumenter sur le projet, sur son utilité, est respectable : on a le droit de ne pas le trouver utile. Mais ce que je regrette, c’est que les opposants ont glissé de l’opposition au projet à l’attaque contre ceux qui en sont chargés. La société LTF [rebaptisée depuis Telt, NDLR] n’a jamais rien fait d’autre que faire ce qu’on lui a demandé de faire. Et elle a essayé de bien le faire. Après on peut estimer que des erreurs ont été commises. Mais il faut distinguer entre critique du projet et mise en cause des personnes qui en sont chargées.
Côté italien, nous faisons face à des violences très fortes de la part d’une petite minorité d’opposants. Nous souhaitons qu’elles s’arrêtent et lançons un appel à la pacification. Nous acceptons et souhaitons être entourés de personnes qui ne partagent pas la même opinion que nous. Nous acceptons la confrontation mais pas la violence.
L’écrivain Erri de Luca joue sur les mots, il joue sur le mot sabotage, mais ce n’est pas de la poésie : quand des centaines de personnes sont agressées et plusieurs dizaines sont blessées, ce n’est pas du romantisme. On est dans des actes de violence caractérisée. Nous souhaitons que tout cela s’arrête et que le débat se poursuive. C’est ce que cherche à faire Mario Virano, le directeur général de Telt, et il le fait bien : il multiplie les rencontres et les initiatives dans le respect des points de vue.

VR&T. Vous souhaitez poursuivre le débat. Mais dans quelle mesure puisqu’à vous entendre nous sommes arrivés à un point de non-retour ?
H. du M. Je ne peux me contenter de ce raisonnement reposant sur le fait qu’on va aller jusqu’au bout parce que le projet est commencé. Certains nous disent : le Lyon – Turin, pourquoi pas ? Mais est-ce utile dans un tel contexte de crise ? Ne vaudrait-il pas mieux le lancer plus tard ? Si on reste fidèle à cette vision d’un grand réseau structurant européen, si on veut arrêter le déclin inimaginable de la part ferroviaire en France et au minimum la remonter à 30 ou 40 %, on n’a pas besoin d’une vraie reprise de la croissance pour le faire. Regardez les chiffres : aujourd’hui, 2,6 millions de poids lourds passent chaque année par les vallées alpines. Notre ambition est d’en faire passer un million sur le train. Même si durant les 30 prochaines années, ce chiffre ne bouge pas, ce report modal d’un million de camions reste ambitieux. C’est vrai qu’on a commencé par justifier le Lyon – Turin par les prévisions de croissance. Aujourd’hui, on ne dit plus cela. Mais on pense que notre objectif reste fort.

VR&T. Les opposants expliquent qu’on pourrait commencer par mieux utiliser le tunnel actuel qui est sous-utilisé…
H. du M. 30 000 camions utilisent aujourd’hui le service de l’autoroute ferroviaire. Son potentiel est de 100 000 camions alors que 2,6 millions de camions passent annuellement dans les Alpes. L’objectif raisonnable du Lyon – Turin est d’attirer un million de poids lourds. Donc on multiplie par dix ce que la ligne actuelle pourrait faire.
Cette ligne ne connaît pas de croissance actuellement. Pourquoi ? Car les temps de parcours sont très longs et très laborieux : c’est une petite ligne de montagne. C’est encore plus vrai pour les trains de marchandises que de voyageurs. Tout le monde trouve normal que, sur cet itinéraire, on soit passé d’une route de montagne à une autoroute. Mais ce ne serait pas normal pour le ferroviaire : il faudrait rester au chemin de fer du XIXe siècle !

VR&T. Sur quoi peut alors porter le débat autour du Lyon – Turin ?
H. du M. Il y a encore énormément de sujets devant nous. Par exemple tout ce qu’on peut faire pour protéger l’environnement, combien d’emplois sont possibles, combien de trains pourront passer, où placer les dépôts, comment on exploitera le tunnel… Beaucoup de questions restent posées.
Nous disons aussi aux opposants : puisque le tunnel se justifie par le report modal, profitez de l’opportunité pour demander aux élus et au gouvernement de montrer jusqu’où ils sont prêts à aller.
Les opposants se demandent aussi si l’Etat aura les moyens de payer. La décision du Premier ministre de lancer une mission parlementaire pour réfléchir à un financement spécifique au Lyon – Turin est positive. Les deux parlementaires, Michel Destot et Michel Bouvard, doivent proposer un montage autour de l’eurovignette. Ils ont déjà confirmé que le Lyon – Turin pourrait bénéficier de ce système d’eurovignette. Le droit européen autorise en effet le prélèvement de surpéages sur des territoires où il y a des alternatives ferroviaires à la route. La mission parlementaire doit maintenant définir plus précisément sur quel territoire cette eurovignette pourra être prélevée (au minimum sur le périmètre du tunnel, mais sans doute au-delà, plus en amont et en aval, mais jusqu’où ?) Elle doit aussi déterminer le niveau de péage et expliquer à quoi ces recettes vont servir. Car en plus du tunnel, il faudra aussi financer les lignes vers Lyon et Turin. Notre projet ne pourra se réaliser que s’il se réalise dans le cadre d’une politique de report modal et dans une approche intermodale et globale.
C’est aussi un signal en faveur d’un rééquilibrage rail-route. Et une réponse aux manifestations des populations et aux élus qui rejettent le passage des poids lourds dans les vallées alpines et s’expriment sur un vrai sujet de fond.

VR&T. Comment éviter que les tunnels alpins ne se fassent concurrence ?
H. du M. Le tunnel du Brenner relie l’Autriche et l’Italie. L’Italie sera aussi reliée par le Lyon – Turin. Il y a donc des intérêts communs. Avec les Suisses qui gèrent le tunnel du Gothard, nous sommes sur le mode coopératif notamment sur le plan technique. Nous nous refilons tous les tuyaux pour nos chantiers ! Enfin, nous sommes tous des établissements publics. Nous travaillons dans une atmosphère naturellement coopérative.
Pour éviter toute concurrence, Bruxelles aurait pu fixer des principes de tarification homogène pour tous. Nous n’en sommes pas encore là. Ce sont des sujets devant nous. Si nous ne les traitons pas bien, nous pourrions effectivement nous retrouver dans une guerre des prix. L’intérêt de payer le juste prix est donc dans l’intérêt de tous. Cela permet d’internaliser les coûts externes, en particulier les coûts dus à la pollution.
Il faut aussi savoir que Telt exploitera la ligne future et la ligne historique, donc coordonnera les péages. Pour exploiter les réseaux, SNCF Réseau, Telt et RFI devront se coopérer. Il faudra un guichet commun pour réserver les sillons.

VR&T. Où en est le calendrier ?
H. du M. Nous avons présenté notre appel à projet dans les temps. Il a été approuvé par l’Italie et par la France la semaine dernière.
Nous attendons maintenant, et avant la fin de l’été, la réponse de Bruxelles sur le financement. La Commission va évaluer les projets présentés dans le cadre du MIE (mécanisme pour l’interconnexion en Europe). Le total représente 23 milliards d’euros.
La Commission dira quel taux elle accorde au Lyon – Turin et selon quel calendrier. Elle a déjà dit qu’elle pourrait aller jusqu’à 40 %, ce qui représenterait alors une participation européenne jusqu’en 2020 de 1,2 milliard sur les 3 milliards nécessités par la section transfrontalière.
Si la participation européenne est moins élevée, on
ralentira la cadence et on calera notre calendrier.
Si ce planning est respecté, il y aura ensuite deux autres phases pour poursuivre le chantier.
Côté français, pour que le projet soit mené de façon sereine, il faut absolument qu’il soit financé par une ressource particulière comme l’eurovignette. C’est la seule façon de réussir le Lyon – Turin. Car il n’y a pas de doute que la rénovation du réseau doit être financée par le budget de l’Etat. Il ne faut pas confronter une vision européenne à une situation d’urgence locale.
Il faudra en moyenne dépenser 200 millions d’euros par an côté français. C’est aussi ce qui fait la complexité du projet. Bruxelles apporte son financement si les Etats apportent le leur. Il faut réussir à faire converger tous les intérêts dans un même calendrier.

Propos recueillis
par Marie-Hélène Poingt

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