Le projet de transformation de la gare du Nord fait polémique. Au centre du débat : la dimension commerciale. Pour Daniel Cukierman, ancien directeur des gares à la SNCF, les commerces plaisent aux voyageurs, tandis que l’élu parisien, Yves Contassot, co-président du Groupe Génération.s, estime aberrant de concevoir une gare comme un aéroport.
« Les commerces font entrer les gares dans un cercle vertueux »
Villes Rail et Transports. Daniel Cukierman, vous avez été directeur des Gares de la SNCF, et vous avez notamment lancé le projet de rénovation de la gare Saint-Lazare. Que pensez-vous de la polémique actuelle sur la gare du Nord ?
Daniel Cukierman. Avant de parler de la gare du Nord, je rappellerais qu’à mon sens, la SNCF a toujours été en retard sur les gares. On a fait de très belles gares quand on a créé le chemin de fer au XIXe siècle mais, après, on les a un peu laissés vivre « dans leur jus ». On a considéré que ce n’était pas important ou bien, quand on a créé le TGV, on a estimé que les gens ne feraient que traverser la gare pour monter dans le TGV comme on prend un métro.
La SNCF n’a créé une direction des Gares qu’en 1998, en retard sur tous les autres réseaux européens. Je ne parle même pas du Japon, où les gares sont de qualité et sont aussi des centres commerciaux. Les gares anglaises étaient dix fois plus modernes, utilisées et valorisées que les nôtres, il y avait alors de grands projets pour les gares comme Leipzig en Allemagne, ou Madrid-Atocha en Espagne et, en Suisse, Zürich est un modèle. Ce retard français n’est pas complètement comblé. Cela se traduit par le fait qu’on donne moins d’argent aux gares dans le budget de la SNCF que dans d’autres réseaux.
VRT. Cela n’a pas empêché de construire de grandes gares nouvelles pour le réseau TGV ?
D. C. Oui, mais comme il n’y avait pas de direction des Gares, il n’y avait pas de maîtrise d’ouvrage forte. Les architectes avaient le pouvoir de décider. A l’époque l’école de Paul Andreu (alors architecte d’Aéroports de Paris, mort en 2018, NDLR) dominait. Et, selon cette école, le vide, c’est bien et, depuis l’aéroport, il faut voir les avions. On a eu la même chose avec les TGV : depuis la gare, il faut voir les trains. La pétition des architectes dans Le Monde, le redit : le vide c’est bien.
Pourtant, lors de la construction des stations du métro de Lille, chaque gare avait été confiée à un architecte différent et, pour protéger les œuvres des architectes, on avait décidé qu’il n’y aurait pas de publicité. Mais une enquête a été faite et 75 % des voyageurs interrogés ont dit : on veut de la publicité. Quitte à prendre le métro autant voir sur le quai d’en face le titre d’un journal, ou le film qui sort, etc.
Et certes, le vide peut être bien, mais pas toujours… Le passage entre la gare du Nord et le métro (Porte de) La Chapelle était vide, il était très sale et c’était un coupe-gorge.
Aujourd’hui, on est dans une nouvelle période. On veut s’occuper des gares, et on se rend compte que c’est ce qui plaît aux voyageurs.
VRT. Alors venons-en à la gare du Nord…
D. C. C’est la plus grande gare d’Europe en terme de nombre de voyageurs. Elle n’est pas à la hauteur de ce trafic. Elle ne l’est pas dans la partie TGV, encore moins dans la partie Eurostar quand on compare notre terminal à celui de St Pancras. Elle ne l’est pas non plus du côté Transilien, même si la rénovation de la mezzanine a amélioré les choses.
Parenthèse : déjà, à l’époque, la création de la halle pour le Transilien avait été faite en partenariat avec Altarea, c’était la première fois qu’on était dans ce schéma, avec un partenaire qui finance les commerces mais aussi l’aménagement de la gare dans les parties non commerciales. Ce qui a été fait pour le Transilien n’aurait pu être fait sans ce premier partenariat noué il y a une vingtaine d’années. Aujourd’hui, cette partie transilienne de la gare du Nord fonctionne moins bien. Il y a trop de monde. La gare rencontre des problèmes classiques d’escalators qui ne fonctionnent pas toujours, mais aussi des problèmes de croisements de flux.
VRT. Tout ceci explique le projet de Gares et Connexions.
D. C. Oui, c’est un projet ambitieux, et il le fallait. La gare centrale de Berlin a coûté plusieurs milliards d’euros. Un projet allant jusqu’à 800 millions d’euros n’est pas une folie pour la première gare d’Europe.
Mais, pour l’instant, on ne sait pas trouver 800 millions pour moderniser la gare du Nord dans le budget de la SNCF. On ne sait déjà pas trouver assez d’argent pour moderniser le réseau, alors qu’on considère que c’est prioritaire. Il faut donc trouver un autre moyen, et les commerces peuvent apporter ce financement. Or, on est parti dans un débat idéologique sur les commerces, qui recoupe en grande partie le débat sur l’architecture. On entend un discours, disant : « le fait que les commerces financent, ce n’est pas bien ». Mais ce n’est pas de l’argent sale, et je ne vois pas pourquoi gagner de l’argent – y compris dans les transports publics – serait honteux.
Et on peut en gagner. Les aménageurs de centres commerciaux disent qu’il y a trois règles pour qu’un commerce fonctionne : le trafic, le trafic, le trafic. Là où passe du monde, le commerce marche bien. Mais qui profite de ce trafic ? Faut-il faire comme à la gare Saint-Lazare, où la SNCF en profite, ou comme à Châtelet-Les Halles, où seul Unibail en tire le bénéfice, et pas la RATP ? Quitte à utiliser l’ensemble des flux qui rapportent beaucoup d’argent autant faire quelque chose qui profite au transport public… Autant profiter des flux que l’on crée.
VRT. N’est-ce pas, au bout du compte trahir l’esprit de ce qu’est une gare ?
D. C. Mais non ! Le commerce n’est pas un moyen de financement par défaut. Ce que l’on fait plaît aux voyageurs. Les sondages le montrent et de plus, il faut croire que cela leur plaît, puisque les commerces ont dans les gares un chiffre d’affaires au m² trois fois supérieur à celui de la rue en face.
Par ailleurs, le commerce fait entrer dans un cercle vertueux. Si on prend l’exemple de Saint-Lazare, le plus achevé en France, les commerces apportent de la présence humaine, de la lumière et des exigences de propreté, de sécurité et de fonctionnement. Ce n’est pas étonnant que Saint-Lazare soit la gare la plus propre, que les escaliers mécaniques fonctionnent et qu’ils soient propres… Cette présence est utile et amène une amélioration globale de la gare.
VRT. A chaque fois on se pose des questions sur l’effet d’un tel centre sur le quartier, et la commission départementale d’équipement commercial – désavouée par la commission nationale il est vrai – s’est prononcée contre le projet de la gare du Nord.
D. C. Déjà, quand on a lancé la rénovation de Saint-Lazare, Jean Tibéri, maire de Paris, était contre, au nom des commerçants de la rue Tronchet. Aujourd’hui, ce quartier est celui où il y a le plus grand nombre de commerces en Europe et, malgré la présence de ce qu’ils pouvaient juger comme des concurrents à leur égard, les commerces de la rue Tronchet marchent bien.
A priori, des gens peuvent dire : on va tuer le commerce de quartier. Mais les cas concrets que l’on connaît – Saint-Lazare, gare de l’Est, Montparnasse –, montrent qu’au contraire on crée un pôle d’attraction.
De plus, si l’on regarde plus précisément le quartier de la gare du Nord, ce n’est pas être insultant que de reconnaître qu’on a des commerces plutôt bas de gamme, à l’exception du marché St Quentin, qui n’a pas de rapport avec ce que l’on peut faire dans la gare. Développer un pôle de qualité peut tirer vers le haut l’ensemble de la chalandise du quartier.
VRT. Il y a aussi un autre débat, sur la création d’un tel centre au détriment de la banlieue
D. C. Les architectes opposés au projet disent, regardez, les centres commerciaux ont du mal à vivre. Mais je préfère qu’on fasse vivre des commerces dans un lieu du transport public plutôt que dans un centre comme Aéroville, accessible uniquement en voiture. Or, ce sont les mêmes qui refusent et la gare du Nord, et Europacity (projet officiellement abandonné après l’interview, NDLR). On ne peut pas être contre les deux à la fois, sauf à avoir une position idéologique, d’être partout contre les commerces. Vu la taille et de ce projet et les besoins auxquels il répond, le projet de la gare du Nord mérite mieux que des postures idéologiques.
VRT. Et pourtant, ça ne passe pas bien. Pourquoi la polémique sur la gare du Nord ?
D. C. Il y a deux choses. On va détruire la halle banlieue qui existe aujourd’hui, et il peut y avoir une espèce de solidarité d’architectes, un réflexe corporatif.
Par ailleurs, le fait que l’on soit dans une période préélectorale peut expliquer le changement de point de vue de la ville de Paris. Il y a des années, j’avais montré à Bertrand Delanoë, qui n’était pas encore candidat à la mairie de Paris, le projet de la gare Saint-Lazare. Il l’avait approuvé mais, ensuite, il avait demandé que l’on renonce aux parkings. Ce n’était pas une critique technique. Il avait des problèmes d’équilibre interne à la majorité.
Ce que je trouve absurde dans la position de la ville, c’est qu’elle se dit prête à mettre de l’argent pour un projet de rénovation sans commerce. Mais, si la ville a de l’argent, autant le mettre directement dans l’amélioration des transports, pas en compensation d’autre chose qu’on supprimerait.
VRT. Il y a tout de même des arguments assez forts sur des cheminements bien compliqués.
D. C. Je ne connais pas assez en détail le projet pour dire que le nouveau système de circulation sera meilleur, mais, vu les flux extrêmement importants, séparer les entrants des sortants n’est pas idiot, et c’est ce qui est prévu au moins pour les TGV, les Eurostar ou les TER. Et cela se fait ailleurs. Quand Rudy Riciotti fait la gare de Nantes, il fait lui aussi passer les gens sur une passerelle avant de redescendre pour rejoindre les quais. Cela se fait à Rennes aussi. Et personne ne proteste. Ce fonctionnement que tout le monde admet ailleurs est critiqué gare du Nord, et je ne comprends pas pourquoi, si ce n’est que c’est un argument facile pour dire : vous compliquez inutilement les trajets des voyageurs.
Mais la gestion des flux, c’est complexe et le plus court n’est pas toujours le mieux. Jean-Marie Duthilleul et moi, nous étions contents, quand on a fait les gares du Stade de France, que ces gares ne soient pas trop près du Stade. Cela permet à la foule de s’étirer, et qu’on ne se retrouve pas avec des dizaines de milliers de personnes en même temps sur les quais. Dans des métros chinois, on a cru bien faire on créant des correspondances courtes entre deux lignes. Mais, dans des gares de correspondance, il y a tant de monde et les couloirs sont si courts que les gens n’arrivent pas à sortir du quai… Parfois, des parcours un peu longs peuvent permettre de « stocker » ou de diluer les flux.
VRT. N’y a-t-il pas, vu l’importance de ce projet, comme un effet de seuil, qui ne serait pas supportable ? C’est deux fois plus d’espace pour les commerces qu’à Saint-Lazare…
D. C. Gare Montparnasse, c’est 20 000 m² aussi, l’équivalent de ce qu’on veut faire gare du Nord. Et on n’a pas la levée de boucliers. On en est à la première moitié des travaux à Montparnasse. Deux choses me frappent. On utilise les travaux pour améliorer les espaces voyageurs, en créant des grandes salles d’attente, on a ouvert le toit de la salle d’échange pour donner de la lumière. Et je suis frappé par la qualité des commerces. A la fin des années 90, on avait du mal à attirer les commerces dans les gares. On avait des commerces classiques, Relay et le café croissant. Aujourd’hui les marques se battent pour aller dans les gares. Elles ont repéré qu’il y avait beaucoup de monde et des gens avec un fort pouvoir d’achat.
VRT. Comment faire, puisque partenariat il y a, pour que la SNCF en tire le maximum ?
D. C. Je crois qu’aujourd’hui Gares et Connexions est nettement plus performant, plus expert en maîtrise d’ouvrage et en négociation de contrats que lorsqu’on a créé la Direction des Gares il y a vingt ans. Gares et Connexions est tout à fait en mesure de tirer un meilleur résultat que du temps de Saint-Lazare et ses derniers directeurs sont des experts dans le domaine.
De plus, si dans le partenariat, on inclut la maintenance c’est une garantie de qualité. Déjà parce qu’on sait combien cela va coûter. En tant que maître d’œuvre, l’investisseur surveillera que les choses soient maintenables. S’il a un contrat de plusieurs dizaines d’années, le mainteneur a tout intérêt à ce que la construction soit de qualité. Les investisseurs privés, c’est évident, cherchent toujours à grappiller de l’argent sur le projet. Les responsabiliser sur la maintenance est une forme de garantie sur la qualité de ce qu’ils font.
VRT. La gare du Nord rénovée doit être prête en 2024 pour les Jeux olympiques. Cela semble très serré. Est-ce possible ?
D. C. Le temps, pour un partenaire privé, c’est de l’argent. C’est aussi un autre aspect vertueux de la présence des commerces, sur la vitesse et la capacité de réaliser un projet. A Paris, les travaux de la gare de Lyon ont été lancés en même temps que ceux de Saint-Lazare, mais ceux de Saint-Lazare, faits en partenariat avec Klépierre – qui ont, c’est vrai, pris du temps – sont finis. Ceux de la gare de Lyon gérés par la SNCF seule ne le sont pas.
La gare sera-t-elle prête pour les JO ? Je n’en serais pas surpris. Il y a des clauses de pénalité très élevées s’il y a des retards, et cela coûterait très, très cher à l’investisseur.
Propos recueillis par François Dumont
« On entre dans une logique purement marchande qui est la négation de la SNCF »
Ville, Rail et Transports. Conseiller de Paris, vous êtes opposé au projet de rénovation de la gare du Nord. Pour quelle raison ?
Yves Contassot. Ce à quoi on assiste aujourd’hui avec ce projet, c’est déjà ce qu’on a vu avec la gare Saint-Lazare, ou ce qu’on voit aujourd’hui avec Montparnasse. En pire. Pour la SNCF, il faut que les gares parisiennes deviennent des centres de profit pour permettre d’entretenir les gares de province. On entre dans une logique assez délirante, purement marchande, qui est la négation de la SNCF en tant que service public. C’était déjà la même chose avec les algorithmes faisant varier les prix des billets en fonction de l’occupation. Cela remonte à l’époque où l’on a privilégié le TGV sur tout le reste en contractant un endettement colossal, ce qui conduit la SNCF à cette logique générale d’optimisation financière. Certes, la SNCF est victime des décisions de l’Etat, mais ses dirigeants s’y conforment avec une jouissance assez étonnante.
VRT. Pourquoi est-ce si aberrant ?
Y. C. Le projet part d’un premier a priori, c’est qu’il doit y avoir une maximisation financière des commerces. Les usagers ou clients sont une variable d’ajustement, ils ne sont plus une priorité. On veut donc construire une passerelle d’où il faudra redescendre pour accéder aux quais de la gare du Nord, afin de donner aux commerces quelques minutes supplémentaires par voyageur. La RATP, pour sa part, refuse de rouvrir certaines stations parce que cela ralentirait de quelques secondes ou d’une minute le trajet des usagers. La SNCF n’en a cure, que des centaines de milliers d’usagers soient retardés. Elle ne se place plus du point de vue de l’usager. Je ne parle même pas des gens à mobilité réduite. On va dégrader les conditions d’accès aux trains, ce qui est inacceptable. C’est comme pour le réaménagement du Forum des Halles. On avait d’abord prévu des sorties directes, du métro et du RER et Unibail a imposé que l’on passe par des espaces commerciaux.
Il y a un deuxième a priori, tout aussi aberrant, c’est l’idée qu’une gare doit fonctionner comme un aéroport. Les aéroports sont un cas à part. On est obligé d’y venir longtemps à l’avance et d’attendre, du fait des procédures d’accès aux avions. On a du temps. Ce n’est pas le cas du train. De plus, la SNCF s’inspire du modèle aérien sur un autre point : comme dans un aéroport, les dirigeants de la SNCF ne veulent pas de bas de gamme et ne se soucient pas des besoins des gens du quartier. Ils sont dans leur logique, d’avoir des loyers plus élevés et d’accroître la rentabilité.
VRT. Quel effet selon vous aurait la gare du Nord métamorphosée sur le quartier ?
Y. C. On veut plaquer un espace sur le quartier, en rien destiné aux habitants. Cela va être un point de fixation pour des gens qui sont un peu dans l’affrontement, notamment tous les jeunes qui viennent de territoires qui se sentent abandonnés. On va créer de la tension inutilement, alors qu’il y en a déjà beaucoup gare du Nord, cela va accroître le sentiment de frustration pour les habitants ou les gens de banlieue. Qui plus est, on fait cela alors que, en périphérie au moins, les grands centres commerciaux vont mal, que le commerce de proximité a le vent en poupe, et alors que le même groupe, filiale d’Auchan, veut construire Europacity… On peut s’interroger sur un tel projet et la rumeur veut qu’il y ait un deal amenant Auchan à renoncer à son projet à Gonesse, contre lequel ses concurrents sont vent debout, en lui garantissant la gare du Nord (peu après notre entretien, l’Etat abandonnait Europacity, NDLR). Le risque, dans ce contexte, c’est qu’un nouveau grand centre connaisse le sort du Millénaire (centre commercial d’Aubervilliers ouvert en 2011 et dont les résultats sont très loin des objectifs initiaux, NDLR), que très vite les boutiques ferment, ce qui est rarement un bon signe pour la suite.
VRT. La rénovation de la gare du Nord veut aussi répondre à l’accroissement du trafic.
Y. C. Ce pari de l’accroissement n’est pas déraisonnable. Notamment parce que des gens renoncent à l’avion au profit du train, particulièrement dans l’Europe du Nord. Il peut y avoir deux phénomènes qui se contredisent, d’un côté l’accroissement naturel du train renforcé par le souci écologique et, de l’autre, éventuellement des effets négatifs du Brexit. Mais l’accroissement n’est pas inenvisageable. Cela dit, je suis très prudent avec les prévisions de la SNCF. A la fin des années 80, ils nous avaient présenté une étude expliquant qu’avant la fin du siècle, c’était absolument certain, la Petite ceinture verrait circuler des trains de voyageurs et de fret. Si toutes les études sont de cette qualité, c’est sujet à caution…
VRT. Vous vous opposez aussi au projet de la gare du Nord pour des raisons de patrimoine
Y. C. Oui, parce qu’on va sinon détruire, ou au moins esquinter l’œuvre de Hittorff, classée monument historique. Or, si je ne siège pas à la Commission des monuments historiques, je siège à la Commission des sites. Et j’observe un forcing de l’Etat que l’on ne connaissait pas jusqu’à présent. Le préfet de Paris dit aujourd’hui à tous les services de l’Etat : l’Etat ne parle que d’une seule voix, j’impose de dire la même chose que moi. Cela ne s’était jamais fait. Il y a une reprise en main par le pouvoir politique. Cette logique s’applique partout. Et, gare du Nord, est dans un cas où l’Etat veut passer en force contre la mairie de Paris… Quant à la décision elle-même, très souvent on dit oui à un projet, même si on y est opposé, au motif que c’est réversible. De fait, pour la gare du Nord, heureusement, ça l’est. Ce n’est pas une raison pour mal faire. A la gare de l’Est, ce qui a été fait est autrement respectueux du cadre. A Montparnasse, je n’ai pas regardé en détail, mais on a beaucoup moins dénaturé la gare.
VRT. Vous êtes opposé aussi au projet d’Austerlitz…
Y. C. Oui, mais à Austerlitz, en ce qui concerne la gare, c’est moins dramatique, ils la dénaturent beaucoup moins, ils refont complètement la grande verrière et c’est plutôt bien, ils vont améliorer l’interconnexion avec le métro. Bien sûr, ils vont rajouter des commerces… Mais ce qui est vraiment contestable, c’est à côté : sur des terrains de la SNCF, on va construire des immeubles de 36 m, dans une même logique de rentabiliser au maximum. En bétonnant à tour de bras. On nous dit pour nous calmer que ce seront des immeubles de 7 étages, mais c’est impossible. 36 m, cela veut dire 10, 11, 12 étages…
La gare d’Austerlitz, c’est encore un exemple invitant à se méfier des prévisions de la SNCF… Elle considérait que cette gare allait devenir une sorte d’annexe de la gare de Lyon où les TGV étaient trop nombreux. D’où la nécessité selon elle d’une dérivation, au point que la SNCF avait fait réserver des espaces au milieu des immeubles construits sur la Petite ceinture à l’intersection du faisceau qui va à Austerlitz, pour pouvoir faire passer des TGV jusqu’à cette gare… Cela a coûté des fortunes pour rien : en fait les TGV ne passeront pas !
VRT. A quel type de financement recourir si on se passe de l’apport des commerces pour rénover les gares ?
Y. C. Ce doit être un financement public. Quand on fait financer un service public par des fonds privés cela se termine toujours mal. On ira de plus en plus loin jusqu’à la privatisation totale des gares. C’est la logique d’aujourd’hui. Macron est sur la ligne thatchérienne. Il crée des cars privés pour concurrencer les trains… Il y a cette idée, purement idéologique ou théorique, thatchérienne, que le privé fait mieux que le public.
VRT. La SNCF compte aussi faire en partie face au financement des petites gares de province par les revenus des grandes gares, notamment parisiennes, comme par un ruissellement…
Y. C. Mais il n’y a aucune raison que cela fonctionne comme ça. C’est vrai, la métropole est très riche, les touristes sont très nombreux. On retrouve là une vision extrêmement ancienne de l’Etat, consistant à renforcer Paris. Ce n’est pas entièrement infondé et Paris, de fait, finance beaucoup. Mais, ce faisant on continue à accroître les inégalités entre les territoires. On crée ou on accroît les inégalités puisque pour pouvoir financer, il faut accroître la richesse. On est dans la compensation plus que dans la réduction des inégalités. Et à la fin cela explose, comme en Italie où la Ligue du Nord en est venue à dire : on ne veut plus payer pour le Sud. C’est très dangereux.
Propos recueillis par François Dumont