Alix Lecadre a rejoint Transdev au printemps 2022 pour devenir directrice des Offres et des métiers ferroviaires. Un peu moins de deux ans après son arrivée à ce poste nouvellement créé, elle participait, le 14 décembre 2023, à un club VRT. Forte de son expérience du côté des transporteurs (elle a aussi travaillé dix ans à la SNCF), mais aussi en collectivités locales et au sein de cabinets ministériels (elle a été conseillère Mobilités et infrastructures de Jacqueline Gourault et de Joël Giraud au ministère de la Cohésion des territoires), elle a dressé un premier bilan de l’ouverture à la concurrence des TER et esquissé des pistes d’amélioration.
Le fait d’être un petit acteur sur le marché ferroviaire en France nous offre la possibilité de réfléchir sur le métier, de poser des questions sans chemin tout tracé et de capitaliser sur l’expérience acquise à l’étranger par le groupe, en prenant en compte ce qui a fonctionné ailleurs, afin de proposer de nouvelles offres. Tout n’est pas transposable, mais pouvoir travailler ensemble est une richesse », a lancé Alix Lecadre en préambule, lors de son intervention au club VRT. Après cinq appels d’offres pour des TER, la directrice des Offres et des métiers ferroviaires de Transdev dresse un premier bilan positif de l’ouverture du marché.
Son entreprise a remporté l’exploitation, à partir de l’été 2025, de la ligne Marseille-Toulon-Nice. Un choix rassurant, selon elle, démontrant une réelle volonté des régions de faire jouer la concurrence.
Revoir les règles de transfert
Mais ce premier contrat a aussi mis en évidence la nécessité de revoir les règles, particulièrement celles concernant les transferts de personnel, estime-t-elle, règles à l’élaboration desquelles Transdev a pourtant participé et qui cherchaient à éviter le dumping social. Dans la pratique, ces règles ne sont pas toujours adaptées, affirme Alix Lecadre. Évoquant le transfert chez Transdev du personnel de la SNCF du Marseille-Nice, elle estime que « la maille choisie pour savoir quel personnel sera affecté et quels métiers seront transférés n’est pas assez précise. On transfère une catégorie “maintenance matériel roulant“ sans connaître la compétence et les salaires de ceux qui la composent. C’est une grosse prise de risque », estime-t-elle. D’où sa demande d’une évolution de ces règles. « De plus, poursuit-elle, la SNCF aurait dû produire une liste de cheminots avec leur taux d’affectation. Environ 50 % des cheminots travaillant sur la ligne gagnée par Transdev étaient transférables. Or, la majorité d’entre eux a demandé à être affectée à l’Étoile de Nice (une ligne gagnée par la SNCF) pour rester dans leur entreprise. D’autant que la SNCF leur promettait de leur trouver un poste », ajoute la dirigeante. « Nous avons eu peu de transferts chez nous. Ceux qui sont venus l’ont fait sur la base du volontariat et sont donc motivés par notre projet. »
Plaidoyer pour une baisse du tarif de l’infrastructure
Comment développer le trafic ferroviaire à l’heure de la lutte contre le dérèglement climatique ? L’une des solutions, selon Solène Garcin-Berson, est de faire évoluer la tarification de l’infrastructure ferroviaire, afin de la rendre plus incitative et d’en faire un levier pour initier des cercles vertueux en créant un choc d’offres qui contribuerait à augmenter les recettes.
Or, le modèle actuel ne va pas dans ce sens, regrette la déléguée générale de l’Afra. Selon elle, les péages français appliqués en France sur les lignes à grande vitesse sont parmi les plus élevés d’Europe et représentent donc un frein à l’accès aux nouveaux entrants. « C’est, poursuit-elle, ce que démontre une étude du cabinet Sia Partner : partant de l’hypothèse d’une baisse des péages de 20 % sur les lignes Paris-Lyon et Paris-Strasbourg, ses auteurs estiment qu’accompagnée d’une diminution des prix des billets de 10 %, une telle mesure permettrait d’augmenter le trafic de 35 % en créant un choc d’offres et aurait pour conséquence de développer la marge des transporteurs, en leur donnant les moyens d’investir, tout en préservant les redevances. » La représentante de l’Afra rappelle aussi que l’arrivée de Trenitalia sur la ligne Paris-Lyon a permis d’augmenter le trafic en attirant de nouveaux voyageurs, sans réduire la part de la SNCF. Il faut aussi changer les mentalités, ajoute-t-elle. « Ouvrir à la concurrence sans s’ouvrir à de nouveaux modèles ne peut pas fonctionner. Il faut faire de la place à la diversité des modèles, celui de Transdev, comme d’autres opérateurs. » Elle recommande aux autorités organisatrices d’oser le changement, tout en reconnaissant qu’il leur faut gagner en indépendance et en expertise. Aujourd’hui, toutes les régions n’ont pas la même maturité et la même maîtrise du sujet, remarque Alix Lecadre. « Celles qui ont investi dans des compétences techniques et sur la maîtrise du parc roulant peuvent utiliser ce travail de long terme pour capitaliser, tandis que les autres vont devoir acquérir des compétences sur la gestion patrimoniale des matériels notamment. » Les régions qui veulent un meilleur accès aux données et cherchent à les comprendre sont plus à même de proposer des appels d’offres équitables et bien menés, indique encore Alix Lecadre.
« La mise à disposition des données est un prérequis pour pouvoir se positionner sur un appel d’offres à égalité avec la SNCF. C’est un impératif pour lancer un appel d’offres équitable », insiste la directrice de l’Offre et des métiers ferroviaires de Transdev. « Si nous n’avons pas l’ensemble des données dès le début de l’appel d’offres, il est difficile de remonter la pente face à la SNCF qui, elle, les maîtrise. » L’obtention de ces données semble toutefois plus facile, précise-t-elle, depuis que SNCF Réseau s’est vu infliger l’été dernier une amende de deux millions d’euros par l’Autorité de régulation des transports, pour défaut d’information…
Conséquence : Transdev devra embaucher davantage de personnel que prévu, ce qui apparaît malgré tout à la directrice des métiers ferroviaires comme une bonne nouvelle. « Nous souhaitons recruter des profils différents, notamment au niveau commercial, car nous projetons d’offrir des services à bord. » Outre les contrôles de billets à bord des trains et la sécurité, les agents de Transdev devront fournir des informations aux voyageurs sur l’ensemble de leurs déplacements, y compris sur les correspondances. Dénommés agents de la relation client, ils alterneront des journées à bord et au sol, avait expliqué fin novembre à VRT, Gwendal Gicquel, le directeur général de la nouvelle société dédiée à l’exploitation de l’axe Marseille-Toulon-Nice. Transdev prévoit de les former dans ce but. Auparavant, en janvier, une campagne de recrutement pour les métiers de conduite sera lancée, suffisamment à l’avance pour être dans les temps : les premiers trains tirés par Transdev sont attendus le 29 juin 2025. La compagnie veut porter une attention particulière auxconditions de travail pour attirer des candidats. « Parce que les attentes et les exigences des salariés ont changé et qu’on manque de personnel, on ne peut pas s’exonérer de revoir la façon dont on organise le travail. Pour pouvoir recruter, il faut pouvoir repenser la façon de concevoir les roulements en fonction des attentes de nos futurs agents et leur permettre de concilier vie privée et vie professionnelle », souligne Alix Lecadre. « Nous serons opérationnels le jour J. »
La branche ferroviaire se construit progressivement
Récemment promue déléguée générale de l’Association française du rail (AFRA), Solène Garcin-Berson a participé à la rencontre avec Alix Lecadre, complétant ses propos en tant que représentante de l’association des opérateurs concurrents de la SNCF. Cette avocate de formation estime que les métiers du ferroviaire présentent des atouts forts. « Ce sont des métiers qui ont du sens. Ils permettent de travailler au service de la planète. Ce sont aussi des métiers féminisables. » Des emplois qui, au regard du niveau d’entrée, sont bien rémunérés, puisqu’avec un bac, un conducteur peut rapidement gagner 3 000 euros par mois, rappelle-t-elle. C’est aussi un secteur où on peut évoluer. Beaucoup de managers sont d’anciens agents au sol ou d’anciens conducteurs. « Il faut le faire savoir pour changer l’image du passé qui pénalise la filière », souligne-t-elle.
Le fait de passer d’un système de monopole à la constitution d’un écosystème contribuera à la consolidation de la branche ferroviaire, en fixant des règles et en facilitant le passage des collaborateurs d’une entreprise à l’autre. D’où l’importance d’avoir des titres reconnus au niveau de la branche, plaide Alix Lecadre. La représentante de Transdev souhaite des formations de branche, à l’instar de ce qui se fait en Allemagne. « Là-bas, la formation est assurée au niveau de la branche, avec 70 % des places réservées pour la Deutsche Bahne qui reste le principal opérateur et 30 % pour les autres opérateurs. C’est le modèle qu’on promeut et qu’on essaye de développer au sein de l’UTP », précise-t-elle. Un tel changement prendra du temps et demande de s’interroger collectivement sur les formations et les plans de carrière, reconnaît Alix Lecadre qui veut porter ce projet pour l’attractivité de la filière. « Même la SNCF y a intérêt, car les nouvelles générations ne veulent plus effectuer toute leur carrière dans la même société », ajoute-t-elle.
Pas vocation à répondre à tous les appels d’offres
D’autres appels d’offres sont prévus courant 2024, notamment en Bourgogne – Franche-Comté, en Normandie pour l’Étoile de Caen, dans le Grand Est pour l’Étoile de Reims, ainsi qu’un ou deux lots dans le sud. « Nous n’avons pas vocation à aller sur tous les fronts, parce que répondre à un appel d’offres coûte cher, un à deux millions d’euros. Pour répondre, il faut avoir les équipes et une chance de gagner », indique Alix Lecadre. Avant de se positionner, Transdev cherche à savoir si la région est en quête d’un service moins cher, ou si elle est prête à se lancer dans une relation différente avec l’opérateur. « Nous regardons s’il y a des marges intéressantes à exploiter pour améliorer le service et nous jaugeons l’appétence de la région à changer d’opérateur. Si l’ouverture à la concurrence se limite à avoir un service moins cher, cela ne servira pas à grand-chose », prévient Alix Lecadre qui souhaite profiter de l’ouverture à la concurrence pour proposer des solutions qui sortent du cadre. « Nous n’avons pas vocation à être une SNCF low-cost. Si c’est ce que recherche une région, nous n’irons pas. Notre sujet c’est d’être capable de proposer une offre différenciante. » En se projetant en 2025, Alix Lecadre rappelle que son principal objectif est de transformer en réalité la promesse faite par Transdev à la région sud, avec des trains qui rouleront « en qualité et à l’heure ». Mais elle sait qu’elle sera confrontée à de nombreux défis, notamment parce que la ligne Marseille-Nice va faire l’objet de grands travaux : « Nous espérons aussi qu’à cette échéance nous aurons été capables de répondre avec succès à d’autres appels d’offres et de convaincre des régions que cela vaut le coup d’essayer quelque chose de différent. Nous sommes une PME dans un grand groupe et nous avons vocation à continuer à grandir. »
Valérie Chrzavzez