Roberto Rinaudo était l’invité le 6 juillet du le Club VRT. Le président de Trenitalia France a consacré sa carrière au ferroviaire, touchant un peu à tous les métiers : fret, finances, Intercités, grande vitesse… Aujourd’hui, il participe à l’ouverture à la concurrence en France. Devant les membres du Club, il a évoqué sa stratégie et ses ambitions sur le marché ferroviaire français.
Depuis le lancement, le 18 décembre, des premiers allers-retours entre Paris et Milan via Lyon, assurés par des rames à grande vitesse Frecciarossa, Trenitalia France a reçu beaucoup de commentaires flatteurs. Son président estime à près de 350 000 le nombre de voyageurs transportés sur les six premiers mois. Le taux de remplissage atteint en moyenne 93 % sur les destinations internationales Paris – Milan. Et environ 50 % sur les navettes entre Paris et Lyon, mais ce taux est à regarder avec précaution, estime Roberto Rinaudo, en raison de la nouveauté de l’offre : la première navette a seulement été lancée le 5 avril, puis deux autres ont suivi le 1er juin. La société propose donc désormais cinq allers-retours quotidiens (dont deux vont jusqu’à Milan), ce qui « représente 20 % de l’offre de l’opérateur historique sur l’axe Paris – Lyon », souligne le dirigeant italien.
20 % du marché
« Nous recevons déjà beaucoup d’appréciations positives de la part de nos clients via nos agents et via les réseaux sociaux » , assure-t-il. « Nos précédentes expériences nous ont permis de bien connaître le marché et les exigences des voyageurs français et de leur proposer un service de qualité, différent de ce que nous proposons en Italie, mais avec une âme italienne. Les lignes à grande vitesse de Trenitalia combinent une offre à haute qualité de service et une tarification basée sur la simplicité, la transparence et la visibilité », détaille Roberto Rinaudo.
Les clients de Trenitalia voyagent à bord de rames Frecciarossa, (flèche rouge) dotées de trois classes. Executive correspond à la classe business dans l’aérien, avec de larges fauteuils en cuir, inclinables et pouvant pivoter pour suivre le sens de la marche. A bord, le personnel propose de la restauration en illimitée.
La classe business est l’équivalent de la 1re classe, avec un design italien, une collation et le wifi. Des salons de réunions avec grand écran peuvent également être réservés pour optimiser les temps de déplacement des voyageurs d’affaires.
Ceux qui souhaitent bénéficier de la grande vitesse à petit prix, peuvent opter pour la classe standard, où, comme les voyageurs de la classe Executive, ils peuvent choisir entre une ambiance Silenzio, pour être au calme, ou Allegro. « Les Français apprécient davantage la tranquillité par rapport aux Italiens », remarque Roberto Rinaudo, qui en a tenu compte en doublant les voitures calmes.
» NOS CINQ ALLERS-RETOURS QUOTIDIENS (DONT DEUX VONT JUSQU’À MILAN) REPRÉSENTENT 20% DE L’OFFRE DE L’OPÉRATEUR SUR L’AXE PARIS – LYON «
« Nous ne cherchons pas à nous lancer dans une guerre commerciale avec la SNCF, mais à proposer une offre différente et complémentaire. Notre objectif est de faire grandir le marché du ferroviaire, car nous sommes persuadés qu’il existe des opportunités de le développer, portées par la transition écologique qui encourage le report modal », assure Roberto Rinaudo, qui affirme avoir tenu compte des attentes de la clientèle française pour définir sa politique tarifaire.
Celle-ci consiste, souligne-t-il, « en un bon rapport qualité prix et de la transparence ». Pour attirer des voyageurs, Trenitalia France ne propose ni cartes de fidélité, ni abonnements, mais compte sur la simplicité de sa tarification pour convaincre ses clients. « Nous avons un seul tarif, qui augmente lorsque les trains se remplissent et nous offrons de la flexibilité. Nos clients ont la possibilité de déplacer leur voyage ou de se faire rembourser gratuitement jusqu’au départ du train. »
Intérêt pour les TER aussi
Le patron italien a conscience que certains voyageurs apprécient les cartes de fidélité de la SNCF. « Il est important qu’il y ait une différenciation entre notre offre et celle de l’opérateur historique, car le but de l’ouverture à la concurrence doit être de faire grandir le marché en offrant plus de choix. » Roberto Rinaudo précise n’avoir pris aucun créneau à la SNCF pour lancer ses trains entre Paris et Lyon.
« Nous transportons principalement des voyageurs loisir sur les lignes internationales, davantage de voyageurs business sur les lignes domestiques », détaille le dirigeant qui prévoit d’investir pour mieux faire connaître son offre et améliorer la fréquentation de ses trains.
La SNCF a annoncé qu’elle ne distribuerait pas les billets de son concurrent italien dont les titres de transport sont vendus sur les sites de Trenitalia, Kombo ou Trainline. « Les canaux digitaux contribuent à booster les ventes », souligne Roberto Rinaudo. Il se félicite que certains sites proposent d’effectuer des choix de billets mixtes et permettent de comparer les prix, pour que les voyageurs puissent décider en fonction des tarifs et des créneaux disponibles.
Le patron de la compagnie ferroviaire se donne l’année 2022 avant de décider s’il renforcera ses services sur cet axe.
» NTV A RÉALISÉ D’ÉNORMES INVESTISSEMENTS EN ITALIE, COMME NOUS AVONS DÛ EN FAIRE POUR PÉNÉTRER SUR LE MARCHÉ EN FRANCE «
« Notre objectif est de consolider notre offre. Et de décider des conditions de notre développement en fonction des résultats. Nous sommes ouverts mais nous avançons avec prudence », souligne-t-il, reconnaissant que les études à venir porteront aussi sur d’autres liaisons. Une fois la décision prise, il faudra ensuite compter au moins deux ans avant le lancement effectif d’un nouveau service ferroviaire.
Roberto Rinaudo ne cache pas non plus son intérêt pour le marché des TER qui s’ouvre à la concurrence en France. Il se dit « convaincu de l’intérêt du marché », auquel il faut répondre avec « de meilleurs services et des prix plus bas ». Trenitalia « ne se positionnera pas partout » mais sera « sélectif », étudiera les appels d’offres « au cas par cas », seulement dans des régions où il y a des « synergies » à réaliser ou un « intérêt stratégique ». Interrogé plus précisément sur l’Ile-de-France, le dirigeant s’est contenté de dire que cette région représente un « marché très intéressant », avec un « volume de trafic équivalant au transport ferroviaire régional italien ».
Et il poursuit : « Nous sommes convaincus qu’avec l’ouverture à la concurrence, dont l’objectif est d’offrir plus de qualité de service, avec des prix plus bas pour les Régions et les voyageurs, il y a d’énormes opportunités en France ».
Mais, comme les projets ferroviaires en France, une fois décidés, prennent en moyenne deux ans, Trenitalia France n’envisage pas de nouveaux démarrages de lignes avant la fin 2023.
Des péages cinq fois plus chers qu’en Italie
Trenitalia exploite aussi des trains en Grèce, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Espagne. Et connaît les spécificités de chacun de ces pays, liées à leur histoire, leurs techniques, leurs exigences. « Avant de se lancer sur un marché, il convient de bien comprendre ses contraintes. On ne peut pas proposer la même chose que dans son propre pays. Il faut s’adapter à ce que chaque clientèle demande. »
En Italie, Trenitalia partage le marché avec l’opérateur privé Nuovo Trasporto Viaggiatori, qui a profité de l’ouverture à la concurrence pour se lancer dès 2012. « La libéralisation du transport ferroviaire a été bénéfique. » Selon Roberto Rinaudo, la compagnie ferroviaire NTV-Italo qui exploite la ligne entre Rome et Milan, comparable au Paris – Lyon, a permis de faire croître le trafic de manière considérable, en bénéficiant du report modal de l’avion vers le train et a contribué à faire baisser les prix des billets sur cette ligne de 20 à 30 %.
Malgré ce succès, NTV reste le seul nouvel opérateur sur le marché italien. Ce que le président de Trenitalia France explique par la masse critique nécessaire pour se lancer. « NTV a réalisé d’énormes investissements en Italie, comme nous avons dû en faire pour pénétrer sur le marché en France. »
Mais il souligne que le marché italien présente un avantage non négligeable : des péages bien moins onéreux qu’en France. « Grâce à l’augmentation de trafic liée à l’ouverture à la concurrence, ils ont encore baissé, passant de 12 euros à 6 à 8 euros du train km, soit quatre à cinq fois moins cher que les péages sur la ligne Paris –Lyon », compare-t-il.
Il est donc plus facile de gagner de l’argent en Italie, où les bénéfices du groupe Trenitalia atteignaient 593 millions d’euros en 2019… contre une perte nette de 801 millions d’euros pour la SNCF (mais fortement impactée par la longue grève contre la réforme des retraites, sinon le résultat net récurrent aurait dû être positif à 313 millions d’euros, avait expliqué, à l’époque, la direction).
L’ouverture à la concurrence en Italie a permis d’offrir des revenus supplémentaires au gestionnaire de l’infrastructure, qui s’en sert pour rembourser la dette liée aux investissements réalisés sur les LGV, tandis que les opérateurs utilisent leurs profits pour réaliser de nouveaux investissements.
» NOUS AVONS PRÉVU DE CONTINUER À NOUS DÉVELOPPER POUR QUE DE PLUS EN PLUS DE GENS CHOISISSENT LE TRAIN, CAR C’EST UNE VRAIE SOLUTION DE TRANSPORT ÉCOLOGIQUE ET ÉCONOMIQUE «
« En France le péage est plus cher, ce qui ne permet pas de bénéficier d’une croissance accélérée. Le système est différent : en Italie la maintenance est payée par l’Etat, ce qui permet de réduire le prix des péages », reconnaît le président de Trenitalia France, qui a bénéficié d’un coup de pouce pour lancer son train à grande vitesse dans l’Hexagone. Comme la loi l’y autorise, l’entreprise a demandé à SNCF Réseau de lui accorder des réductions de péages, qui ont ensuite été validées par l’Autorité de régulation des transports. Trenitalia France bénéficiera d’une remise de 37 % pour la première année, de 16 % pour la deuxième année et d’une dernière ristourne, optionnelle, de 8 % pour la troisième année.
« Cette tarification différentielle permettant de bénéficier de coûts de péages moindres, de manière transitoire, est offerte à tous les opérateurs, pour compenser partiellement les surcoûts liés au lancement d’une ligne », justifie Roberto Rinaudo, qui ajoute que les réductions accordées sont loin de compenser les investissements qui ont été nécessaires pour accéder au marché. Pour s’installer sur le marché français, et notamment faire homologuer son matériel roulant, Trenitalia France a investi quelque « 300 millions d’euros ».
En plus de la nécessité d’obtenir l’homologation et la certification de sa flotte pour se lancer, Trenitalia France s’est trouvée confrontée à la difficulté de recruter du personnel. « Cela n’a pas été simple de trouver des conducteurs, des directeurs de la sécurité car le secteur a des compétences limitées et souffre de pénurie de personnel », indique Roberto Rinaudo qui est tout de même parvenu à composer une équipe de 160 collaborateurs, dont 55 agents roulants, conducteurs et agents de bord, une trentaine de personnels d’accueil, une dizaine de contrôleurs, en plus d’une équipe au siège chargée des RH et de la finance… « Tous français, à l’exception de cinq Italiens, avec des contrats français », insiste leur employeur.
De la place pour tous
La SNCF assiste à un engouement des Français pour le train. Roberto Rinaudo veut croire que l’arrivée d’un nouvel opérateur contribuera à la croissance du marché, stimulera la demande des voyageurs et qu’ils seront de plus en plus nombreux à renoncer à la voiture et à l’avion pour prendre le train, comme cela s’est passé en Italie.
Il constate déjà que de plus en plus de Français choisissent de recourir au train, parce que c’est un moyen de transport écologique, qui offre confort et qualité, où l’on peut manger, travailler, jouer, se reposer et relier des centres-villes. Ce qui rend le président de Trenitalia France confiant pour la suite. « Je ne crois pas que la crise Covid changera les habitudes des voyages d’affaires, mais si c’est le cas, on s’adaptera. Je pense que le ferroviaire sera moins impacté que d’autres modes. En contribuant à offrir plus de choix aux voyageurs, je suis persuadé que davantage de Français vont finir par préférer le train à l’avion, ou la voiture. »
Il dresse un premier bilan positif de son expérience sur le marché hexagonal : « Nous sommes très heureux de proposer une offre à grande vitesse en France et que les premiers résultats démontrent de l’intérêt de la part de la clientèle. Nous avons prévu de continuer à nous développer sur ce marché en proposant une offre de plus en plus riche, pour que de plus en plus de gens choisissent le train, car avec la crise de l’énergie et du pouvoir d’achat, c’est une vraie solution de transport écologique et économique. »
Valérie Chrzavzez
Le pionnier Thello
Trenitalia a fait une première incursion sur le marché français, sous le nom de Thello, en lançant en 2011 un train de nuit entre Paris et Venise via Milan, puis à partir de 2014, un train de jour assurant la liaison Marseille – Milan. Thello était alors une joint-venture entre Trenitalia et Veolia. En 2016, Transdev qui avait repris Veolia, s’est retiré du capital de Thello, et en juillet 2021 l’entreprise, rebaptisée Trenitalia France, a mis un terme à ces lignes. Son président, Roberto Rinaudo, explique que le Covid et les problèmes de disponibilité de sillons attractifs l’ont contraint à stopper ces activités pour se concentrer sur les lignes à grande vitesse.