Neuf ans après le déraillement d’un Intercité à Brétigny-sur-Orge, qui avait tué 7 personnes et blessé plus de 200 autres, le verdict est tombé : la SNCF est seule reconnue coupable d’homicides et blessures involontaires, a jugé le 26 octobre le tribunal d’Evry. La compagnie a été condamnée à une amende de 300 000 euros, toutefois moins lourde que celle réclamée par le procureur Rodolphe Juy-Birmann. Lors du réquisitoire, ce dernier avait eu des mots très durs contre la SNCF (héritière pénale de l’Infra chargée de la maintenance des voies au moment des faits), estimant qu’elle avait « créé le contexte à l’origine de l’accident » par un « échec dans la chaîne de maintenance ». Selon lui, l’entreprise avait procédé à « beaucoup de renoncements dans la maintenance« au détriment de « toute une conception du service public«.
La SNCF, qui a indiqué avoir déjà versé 11 millions d’euros aux victimes, devra encore les indemniser à hauteur de plus de 3,5 millions d’euros pour préjudices subies. Plusieurs de centaines de milliers d’euros doivent aussi revenir aux CPAM et autres associations s’étant portées partie civile, précise la CGT-Cheminots dans un communiqué.
La présidente du tribunal Cécile Louis-Loyant a en revanche acté la relaxe des deux autres prévenus : un ancien cadre cheminot, qui avait effectué la dernière tournée de surveillance huit jours avant le drame, et le gestionnaire des voies SNCF Réseau (ex-Réseau Ferré de France).
Sept années d’enquête, puis 8 semaines de procès, du 25 avril au 17 juin ont cherché à expliquer pourquoi, le 12 juillet 2013, peu après 17h, une éclisse, après avoir pivoté au début du passage du train, s’est retrouvée, à quelques dizaines de centimètres de son emplacement normal, retournée dans le cœur d’une traversée jonction double. C’est dans cet appareil de voie, qui permet aux trains de changer de voie ou aux voies de se croiser, que l’éclisse retournée a fait office de tremplin pour les roues de certaines voitures du train accidenté. Le train Corail Intercités 3657 Paris-Limoges circulait alors à 137 km/h.
Ce retournement de l’éclisse a été causé par l’évolution d’une fissure dans le cœur de cette traversée jonction double, une fissure détectée en 2008 mais mal suivie les années suivantes par les équipes de surveillance de la SNCF, a jugé le tribunal. « Cette négligence du suivi du cœur est en lien certain avec le déraillement », a affirmé la présidente du tribunal, balayant la défense de la SNCF qui imputait l’accident à un défaut indécelable de l’acier. Si la SNCF avait correctement réalisé ces visites de contrôle, elle aurait, a estimé la magistrate, « constaté l’état avarié » du cœur « et procédé à son changement ».
Les victimes ne sont pas complètement satisfaites. «On n’a pas l’apaisement qu’on serait en droit d’attendre », a expliqué à VRT Thierry Gomes, le président de l’association Entraide et défense des victimes de la catastrophe de Brétigny (EDVCB), partie civile dans le procès. L’Association compte une cinquantaine d’adhérents, victimes directes de la catastrophe, ou membres de leurs familles, comme Thierry Gomes dont les parents sont décédés dans l’accident. « On reconnaît que la présidente a condamné la SNCF, mais on regrette que la responsabilité de RFF n’ait pas été mise en évidence. C’est toute l’ambiguïté de la délégation. Bien, sûr la SNCF est responsable de la gestion, mais c’est RFF qui fixait les montants alloués aux travaux», estime-t-il.
L’association regrette aussi l’attitude de la SNCF pendant l’instruction. « Il a tout de même fallu faire appel à des écoutes téléphoniques pour découvrir le fonctionnement de l’entreprise… », ajoute son président, faisant référence à un manque de transparence et à des directives pour freiner l’enquête.
Mais, ajoute-t-il, « il faut reconnaître que le président Guillaume Pepy a toujours été très correct. Notamment lorsqu’il souhaitait aider financièrement les parties civiles pour leur défense ». Et Thierry Gomes de rappeler que l’ancien président de la SNCF « continue de venir aux cérémonies de commémoration ».
Les membres de l’EDVCB devraient se réunir rapidement pour décider de faire, ou pas, appel du verdict. Ce qui supposerait alors la relance « d’une nouvelle procédure de 18 à 36 mois … »
Marie-Hélène Poingt avec Yann Goubin