L’engouement estival pour le train en France confirme la tendance observée au premier semestre 2023. Malgré les grèves liées à la réforme des retraites et la polémique sur le prix des billets de TGV, le trafic de voyageurs est en forte hausse, celui des marchandises, en berne. Le groupe ferroviaire termine le premier exercice de l’année avec un bénéfice de 158 millions d’euros. Les grèves lui ont coûté 500 millions d’euros en chiffre d’affaires.
« Malgré le contexte difficile marqué par l’inflation, les grèves contre la réforme nationale des retraites et la baisse du volume de marchandises transportées, les indicateurs sont au vert, la stratégie qui consiste à ne pas nous exposer à un seul marché et à un seul business est payante », se félicite la SNCF.
Le groupe public publie ce soir ses résultats semestriels 2023, et si en 2022, Geodis avait boosté les résultats de la SNCF, c’est maintenant le transport de voyageurs qui prend le relais. Les trafics explosent tant pour les TGV (+10%), que pour Eurostar Thalys (+ 40%), les Intercités (+2,5%) ou les trajets du quotidien (TER +18%, Transilien +5%). « Des niveaux historiques », commente le transporteur qui se défend de pratiquer des tarifs élevés.
« 80% des billets vendus bénéficient de réductions avec la carte « Avantage « (4,5 millions de détenteurs) qui garantit des prix de billet plafond (les prix de la carte Avantage vont augmenter de 10 euros à partir du 29 août) », répètent à l’envi les portes-parole de la SNCF. Globalement, les coûts d’exploitation des TGV ont bondi de 13% (énergie + hausse des salaires de 12%), et « le prix des billets a augmenté en moyenne de 5%, assurent-ils. La décision de ne pas répercuter intégralement la hausse des coûts sur le prix des billets a coûté 400 millions d’euros de marges, calcule de son côté Laurent Trevisani, directeur général délégué Stratégie et Finances.
« 500 millions en plus sans les grèves »
L’activité soutenue des filiales SNCF Voyageurs, Keolis et Gares & Connexions vient compenser les moins bons résultats de ses autres filiales : Geodis, SNCF Réseau, et Rail Logistics Europe (fret et logistique ferroviaire).
A fin juin, le groupe public affiche un chiffre d’affaires global de 20,7 milliards d’euros, en progression de 2,2% (+0,1% à périmètre constant, sous l’effet des grosses acquisitions par Geodis). Et enregistre un bénéfice de 158 millions d’euros. Il préserve ses marges avec un Ebitda de 2,8 milliards d’euros, en retrait de 200 millions en un an. « L’impact des grèves au premier semestre a coûté 500 millions d’euros de chiffre d’affaires au groupe, 400 millions de marges », estime Laurent Trevisani.
Le train plébiscité
Dans le détail, SNCF Voyageurs voit son chiffre d’affaires augmenter de 11,3% par rapport au premier semestre 2022, à 9,3 milliards d’euros. A lui seul, le TGV affiche une croissance de 21% en un an, avec un chiffre d’affaires de 4,5 milliards et une marge de 607 millions contre 415 millions un an auparavant. « Avec une hausse moyenne des prix des billets de 5%, un panier moyen qui n’est toujours pas revenu au niveau d’avant la crise Covid, l’essentiel de la progression de la marge du TGV vient donc des volumes de trafic, grâce à un meilleur taux de remplissage de nos trains », décrit la SNCF. Il est de 80% (+4%).
Le vent de la reprise qui avait soufflé en 2022 sur Keolis (filiale de transport urbain et interurbain qui vient de remporter deux lignes du métro Grand Paris Express) se confirme sur les six premiers mois de l’année 2023. Avec un chiffre d’affaires en hausse de 7,3%, à 3,5 milliards d’euros, porté par des gains de contrats, en France et à l’international.
Du côté de Gares & Connexions, les redevances des commerces et la « forte progression » des prestations et services facturés aux compagnies ferroviaires (péages, nettoyage, gardiennage, prestations techniques) tirent le chiffre d’affaires du gestionnaire des gares : + 8% à 882 millions d’euros. « Le niveau d’activité des commerçants en gares est supérieur de 10% par rapport à 2022 », commente la SNCF.
Geodis à la peine
La situation se corse en revanche pour Geodis. Remarquée pour son rôle moteur dans les résultats records de la SNCF en 2022, la filiale transport et logistique qui avait surfé très favorablement sur la vague du Covid connait quelques revers depuis début 2023. Heurtée de plein fouet par la baisse des volumes de marchandises à cause du ralentissement économique mondial qui fait plonger les taux de fret et ralentit le transport routier. En France, les grèves liées à la réforme des retraites ont enfoncé le clou. Résultat, le chiffre d’affaires de Geodis cède 12% (-20% à périmètre et change constants), pour se situer à 5,9 milliards contre 6,7 millions un an avant.
« En perdant un cinquième de son activité, Geodis parvient malgré tout à préserver sa rentabilité et maintient ses marges, grâce à un modèle d’affaires diversifié », commente la SNCF. A coups d’acquisitions à l’étranger, autofinancées à 100%, comme l’Allemand Trans-o-Flex, spécialisé dans le transport de produits pharmaceutiques (1 milliard d’euros de CA) dont le rachat a été finalisé fin février. « Geodis est un acquis stratégique, créateur de valeurs et qui n’est pas à vendre », commente Laurent Trevisani qui se dit « confiant sur la capacité du groupe à dégager du cash flow libre [capacité d’autofinancement] en 2023 pour pouvoir réaliser d’autres acquisitions ».
L’avenir du fret ferroviaire
La baisse des volumes de marchandises, l’impact du mouvement social des retraites, doublé des travaux sur le réseau ferré a également percuté l’activité des filiales de fret et de logistique ferroviaire du groupe. Sous la marque Rail Logistics Europe, elles perdent 3,6% de chiffre d’affaires sur un an. « Après un mouvement social, les chargeurs ne reviennent pas au train aussi vite que les voyageurs », constate Laurent Trevisani.
La conjoncture est morose pour cette activité : un scénario de « discontinuité » visant à faire disparaître Fret SNCF (et sa dette) avant de relancer une nouvelle société à l’activité réduite, doit permettre d’éviter de rembourser les 5,3 milliards d’aides d’Etat versées entre 2007 et 2019 et soupçonnées d’illégales par Bruxelles. « Telle qu’elle est envisagée, la réduction commerciale [de la nouvelle entité fret] ne dépasserait pas 20% de chiffre d’affaires, affirme Laurent Trevisani. Notre volonté n’est pas de remettre en cause le fret, on y croit fortement », prend le soin d’ajouter le directeur finances et stratégie.
Autre victime du mouvement social du premier trimestre, SNCF Réseau. La société gestionnaire du réseau ferré a vu les circulations de train baisser de 9% au premier trimestre. son chiffre d’affaires est en retrait de 0,8%, hors redevances électriques dont s’acquittent les transporteurs ferroviaires (+2,4% à périmètre et changes constants).
Dans ce contexte hostile, la SNCF, qui a plus que sauvé les meubles au premier semestre, annonce le maintien de ses investissements à hauteur de 4,6 milliards d’euros, majoritairement pour régénérer et moderniser le réseau ferré, et pour rénover les gares.
Nathalie Arensonas