Les opérateurs concurrents de la SNCF mais aussi les constructeurs français se plaignent régulièrement des lourdeurs du processus d’homologation des trains dans notre pays. Dernière en date, la compagnie espagnole Renfe a décidé de suspendre son développement en France en évoquant des difficultés et des retards notamment pour l’homologation de ses trains.
Ils ont raison! estime une mission parlementaire « flash », constituée de deux anciens députés, David Valence et Guy Bricout, qui n’ont pas eu le temps de présenter leur rapport durant leur mandature. Ils viennent d’être entendus, le 2 avril par la commission du Développement durable de l’Assemblée nationale.
Avec des arguments percutants, ils décrivent un processus lourd et coûteux pour obtenir une « autorisation de mise sur le marché » (AMM). Il peut en effet s’écouler plus de sept ans entre la commande d’un nouveau matériel et sa livraison, soulignent les deux rapporteurs qui se sont intéressés aux trains grandes lignes, interurbains et de fret. « Selon Caf France, que nous avons auditionné, une campagne d’essais peut représenter entre 5 et 10 % du temps de conception et 10 % de son budget« , indique Guy Bricout, ancien député (Liot) du Nord.
Une multitude de normes…
Avant de pouvoir embarquer des voyageurs, un train doit être soumis à une campagne d’essais de certification pour vérifier qu’il respecte les normes de sécurité ferroviaire françaises et européennes et sa compatibilité avec l’infrastructure appelée à l’accueillir. Les spécifications techniques d’interopérabilité (STI) définissent les standards européens à respecter. Elles sont élaborées par l’agence de l’Union européenne pour les chemins de fer (ERA). Il en existe aujourd’hui 11 qui couvrent la majorité des essais, indique Guy Bricout. Les Etats membres peuvent aussi, de leur côté, édicter des normes nationales si les conditions le justifient (par exemple une caractéristique spécifique d’un réseau ferré).
Cinquante quatre règles ont ainsi été édictées en France, en plus des STI européennes. Ce qui place notre pays au-dessus de la moyenne européenne située à 30, « mais à des niveaux inférieurs ou similaires à ceux des pays disposant d’un réseau comparable : 65 en Allemagne, 85 en Italie, 48 en Espagne« , note la mission.
Toutefois la pertinence des normes françaises n’a pas toujours été réinterrogée au fil du temps, soulignent les deux rapporteurs. Selon eux, l’ERA estimerait que 17 normes sur les 54 pourraient être révisées, voire supprimées.
… et d’acteurs
Une campagne d’essais ferroviaires fait intervenir dans notre pays une multitude d’acteurs, raconte encore Guy Bricout. Le constructeur doit d’abord s’adresser à Certifer, l’organisme français de certification ferroviaire chargé d’évaluer la conformité des tests aux règles européennes et nationales. Certifer doit ensuite passer par des organismes commerciaux, comme par exemple Eurailtest, pour organiser et planifier les campagnes d’essais.
Il doit aussi adresser à l’Agence des essais ferroviaires (AEF) un dossier d’autorisation temporaire de circulation à des fins d’essais. Cet organisme intégré à SNCF Voyageurs s’occupe en effet de la grande majorité des essais sur le réseau. L’AEF transmet alors la demande à SNCF Réseau qui l’analyse une première fois avant de la transférer à l’EPSF (Etablissement public de sécurité ferroviaire) qui l’accepte ou pas. Si c’est positif, l’AEF peut réserver des sillons auprès de SNCF Réseau et mobiliser des conducteurs d’essais. « Cette chaîne est peu lisible, alors qu’en Allemagne par exemple, il n’y a pas de demande d’autorisation temporaire spécifique pour des essais sur le réseau », résume Guy Bricout. « Le groupe SNCF, via SNCF Réseau et SNCF Voyageurs, occupe une place centrale, dans le processus. Ce qui peut être considéré comme un frein par les opérateurs étrangers« , ajoute-t-il.
Une fois la campagne de tests lancée, les difficultés ne s’arrêtent pas là. L’ancien élu rapporte qu’Alstom a dû mobiliser, dans les années 2000, dix trains Régiolis « modèles » pendant trois ans pour un coût total estimé à 100 millions d’euros. « Ce qui équivaut au coût de 18 Régiolis« , rappelle l’ex-député « Plus récemment, la Renfe a estimé à au moins 18 mois la durée d’essais pour ses trains Talgo (pourtant déjà validés pour les règles européennes), pour qu’ils soient conformes aux règles françaises et puissent circuler sur le réseau national« .
Saturation des sites d’essais
La mission pointe aussi les difficultés d’obtenir des créneaux sur le réseau pour réaliser les essais et de disposer de conducteurs d’essais. Par ailleurs, l’éparpillement géographique des différents centres d’essais n’aide pas. D’après l’Association française du rail (l’Afra rassemble les opérateurs alternatifs à la SNCF), indique la mission, il faut attendre plusieurs semaines pour pouvoir réaliser des essais de signalisation contre une seule journée en Belgique qui dispose d’un itinéraire spécialement équipé pour acheminer à destination les matériels à tester.
Un exemple a particulièrement retenu l’attention des deux ex-députés. En France, les tests liés au shuntage (pour s’assurer que le train sera bien détecté sur une voie au moyen du contact électrique entre l’essieu et les rails) doivent être obligatoirement réalisés à Plouaret dans les Côtes-d’Armor. Un endroit où le risque de shuntage est particulièrement élevé et permet donc de couvrir le risque sur l’ensemble du réseau ferré. Mais il présente de fortes contraintes. Du fait de sa situation géographique, il est peu accessible. Et du fait des conditions météorologiques, il n’est utilisable que quatre mois et demi par an, d’avril à septembre! La révision de cette règle nationale est discutée depuis dix ans par l’EPSF mais n’a toujours pas aboutie…
Les quelques grands sites européens d’essais, incontournables pour lancer les nouveaux trains, sont également saturés. En particulier le centre de Velim, en République tchèque, est devenu un point de passage obligé en raison de ses atouts : un circuit de 13,2 km autorisant une vitesse maximale de 210 à 230 km/h et un autre circuit long de 3,9 km autorisant une vitesse de 90 km/h. Le site doit être réservé un an à l’avance. « Avec la croissance du transport ferroviaire, cette situation ne pourra qu’empirer« , note Guy Bricout.
Une simplification nécessaire
Il est donc urgent de simplifier la réglementation nationale applicable aux essais mais aussi l’accès au réseau, estiment les deux co-rapporteurs. « Il faut accélérer l’inventaire de nos 54 normes nationales et supprimer celles qui sont obsolètes ou en doublon. Un travail est en cours à l’ERA« , souligne David Valence, qui suggère aussi de regrouper géographiquement les essais et d’autoriser, pour certains, des tests en laboratoire.
L’ancien député des Vosges (apparenté Renaissance), également président de la commission Transport de la région Grand Est, propose quelques pistes pour désaturer les centres d’essais, comme la réhabilitation d’anciennes voies. Mais le coût pourrait être considéré comme rédhibitoire, reconnaît-il. Autre solution : réaliser un centre européen avec au moins 20 km de voies ferrées. « Ce serait probablement nécessaire mais au coût de plusieurs milliards d’euros d’investissement« , souligne l’élu régional, renvoyant à des discussions au sein de l’Union européenne. Un tel centre d’essais avait été envisagé par le passé dans le Nord avant d’être abandonné dans les années 2010.
Cinq grandes catégories d’essais
Cinq catégories d’essais sont prévues : des tests de shuntage, de freinage, de captage de courant, de comportement dynamique et de signalisation. Ils sont réalisés soit dans des centres d’essais dédiés, soit sur le réseau ferré national, principalement la nuit.
D’après Eurailtest, il faudrait compter au moins neuf mois de circulation d’un train neuf sur le réseau ferré national tandis que l’Association française du rail (Afra) estime entre un et deux ans pour réaliser tous les essais obligatoires en vue de l’obtention d’une autorisation de circulation.
ERA ou EPSF?
L’autorisation de mise sur le marché est délivrée soit exclusivement par l’ERA, soit par l’EPSF ou l’ERA selon les cas. Si le train a vocation à circuler dans plusieurs États-membres, le demandeur doit obligatoirement s’adresser à l’ERA pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché. Si le matériel roulant n’est appelé qu’à rouler en France, le demandeur peut s’adresser soit à l’EPSF soit à l’ERA.
Deux sites principaux en France
Le site d’essais de Velim, en République tchèque, propriété de l’exploitant local, est le principal centre d’essais de nouveaux matériels roulants en Europe. Il est utilisé par les grands constructeurs européens.
En France, les deux sites majeurs de tests appartiennent au Centre d’essais ferroviaires (CEF), société détenue à 96,1 % par Alstom. Le CEF1, situé à Petite-Forêt près de Valenciennes, dans le Nord, a été créé dans les années 1990 pour y tester du matériel urbain. Le CEF2, situé à Tronville-en-Barrois, dans la Meuse, a été conçu au début des années 2000 dans le contexte de la commande de rames Régiolis. Ils sont ouverts à tous les constructeurs.
Siemens dispose de son propre centre d’essais à Wildenrath en Allemagne. D’autres sites existent en Europe comme par exemple ceux de Zmigród en Pologne et de Faurei en Roumanie.