Stop ou encore ? En matière d’hydrogène, Alstom semble avoir tranché. Pionnier des trains à hydrogène, fournisseur de matériel notamment pour quatre régions françaises, développeur de nouvelles technologies via une filiale dotée d’une mégafactory, le groupe a annoncé avoir « mis en pause » une partie de ses activités. Les instances du personnel ont été convoquées mi-novembre pour être informées de l’arrêt de projets menés dans le cadre d’un programme européen baptisé PIIEC (projet important d’intérêt européen commun), financé par l’Etat. Alstom n’aurait pas franchi les étapes technologiques permettant le déblocage des subventions espérées.
Dans un communiqué laconique, la direction affirme être engagée dans « un dialogue régulier et responsable avec l’Etat en vue d’identifier des solutions pour assurer la pérennité des activités du groupe et de la filière hydrogène made in France ». Alstom assure aussi être investi au quotidien auprès de ses clients actuels de trains à hydrogène et respectera ses engagements contractuels de livraison, de maintenance et de maintien en condition opérationnelle. Les projets en cours en France poursuivent leur déroulement conformément aux contrats en vigueur avec des fournisseurs externes, comme Cummins pour la pile à hydrogène.
En France, 12 trains Régiolis H2 ont été commandés par quatre régions. Les essais de validation de ces rames ont débuté en 2024. Les premières circulations commerciales devraient intervenir début 2027. Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est et Occitanie ont opté, en mars 2021, pour des rames bi-mode alimentées par caténaire sur les lignes électrifiées et par l’énergie fournie par l’hydrogène sur les lignes non électrifiées.
2,1 milliards d’euros d’aides publiques
Entre les services de l’Etat et Alstom, le bras de fer semble engagé. En octobre 2022, Bruxelles avait annoncé le lancement des premiers PIIEC liés à la chaine de valeur de l’hydrogène. Le principe de ces programmes avait émergé du traité de Lisbonne pour l’innovation. Cette solution devait booster la recherche et développement à travers des financements publics encadrés, ne risquant pas d’être contestés pour cause de distorsion de la concurrence entre membres de l’Union.
Les entreprises retenues dans le cadre de l’appel à projet Hy2Tech vont ainsi se partager 2,1 milliards d’aides publiques. Sur les 15 projets français présentés, 10 seront validés, dont trois portés par Alstom. Le Français décrochera une subvention pour un plan hydrogène articulé autour de trois innovations « structurantes ». La première porte sur le développement de briques à hydrogène. La deuxième concerne une locomotive de manœuvre à hydrogène et la troisième un wagon générateur à pile à combustible hydrogène de forte puissance pour le fret lourd.
L’Ademe est chargée pour le compte de l’État d’apporter un soutien au développement de certains éléments critiques des technologies. Le sujet intéresse également la direction générale des entreprises de Bercy.
Des équipes regroupées sur un site inauguré en juin
Le 13 juin, Alstom inaugure en grande pompe, à Aix-en-Provence, un nouveau site sur lequel il regroupe des équipes de 300 personnes, dont celles de sa filiale Helion Hydrogen Power. Dans ce bâtiment de plus de 7000 m2, vont être transférés la fabrication des systèmes de contrôle-commande digitale pour les métros et tramways ainsi que les systèmes de recharge électriques et enfin, les projets hydrogène. Le site, baptisé Delta, abrite un atelier industriel, un laboratoire de recherche et développement et une mégafactory dédiée à l’hydrogène. La sixième génération de piles Helion Hydrogen Power pour les trains Alstom doit y être produite. L’entreprise Helion, rachetée en 2021 par l’industriel, franchit là une étape majeure. Ce sont aujourd’hui ses équipes qui sont les premières visées par le changement de pied de l’industriel.
Pour Christelle Werquin, déléguée générale de France Hydrogène, l’association qui regroupe les acteurs français de la filière, l’affaire Alstom n’est pas un bon signal. « En théorie, les PIIEC constituent un cadre très bordé, mais en pratique, le déblocage des tranches de financement, qui est fonction de la montée en puissance industrielle, peut être plus compliqué que prévu », témoigne la responsable de l’association, qui a aidé les candidats à intégrer le programme européen.
Au sein des services de l’Etat, on remarque que « la vague d’enthousiasme excessif » qui a entouré l’hydrogène, a fait place à beaucoup plus de pragmatisme. « On a financé des choses qui ne répondait pas aux équations économiques les plus basiques », soupire un proche de Bercy.
En Allemagne, de sérieuses faiblesses de la technologie
Dans le ferroviaire, le passage des trains à l’hydrogène se fait aussi dans la douleur. En Italie, où Alstom a fourni les premiers trains à hydrogène du pays, la mise en service commerciale se fait attendre. Huit des 14 Coradia Stream H commandés ont été livrés pour assurer des liaisons pour la région de Lombardie. Ils pourraient transporter leurs premiers passagers en 2026.
Enfin, en Allemagne, le train à hydrogène d’Alstom, Coradia iLint, est exploité depuis 2022. A l’époque, le lancement de la première flotte de trains régionaux à l’hydrogène au monde est perçu comme une véritable révolution. Trois ans plus tard, le retour d’expérience démontre de sérieuses faiblesses technologiques. La flotte d’iLint a souffert de défauts techniques comme des pannes récurrentes de composantes dont la pile à combustible. Des difficultés d’approvisionnement en hydrogène ont aussi perturbé le service. Globalement, la disponibilité de la flotte a été largement inférieure aux attentes des opérateurs.
Stellantis déjà sorti
Dans l’industrie française, le rétropédalage d’Alstom n’est pas le premier. Le 16 juillet, l’annonce de celui de Stellantis a marqué les esprits. Le groupe automobile s’est retiré avec fracas du programme de développement d’une pile à combustible à hydrogène. L’actionnaire de Peugeot et Citroën a avancé pas moins que « l’absence de perspectives à moyen terme pour le marché de l’hydrogène ». L’annonce a entrainé l’arrêt de la production en série des utilitaires Stellantis Pro One à hydrogène sur les sites d’Hordain en France et Gliwice en Pologne. Le constructeur s’est aussi désengagé de Symbio, co-entreprise créée avec Forvia et Michelin.
Le 3 décembre, un accord a finalement été trouvé pour « assurer la continuité de Symbio ». Sa nouvelle feuille de route prévoit le maintien de 175 postes sur les plus de 600 emplois que devait compter son projet de gigafactory annoncé eux ans plus tôt.
A Bruxelles, un nouveau dispositif d’aide
A Bruxelles, on continue à croire à l’hydrogène. Le 12 novembre 2025, l’Europe a officiellement adopté un « acte délégué » bas-carbone. Ce texte « fondamental » fixe un cadre pour comptabiliser les émissions liées à la production d’hydrogène lorsqu’il permet une réduction d’au moins 70 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à l’hydrogène fossile.
Pour Philippe Boucly, président de France Hydrogène, l’adoption de cet acte délégué est « à marquer d’une pierre blanche ». « Cette approche met en lumière les atouts français… Avec un mix électrique déjà décarboné, des compétences solides et des projets industriels ambitieux, toutes les conditions sont réunies pour passer à la vitesse supérieure », assure-t-il. Ce sera sans Alstom.