
Il s’appelle DAC, pour Digital Automatic Coupler, c’est-à-dire « attelage automatique numérique ». De nombreux acteurs du fret ferroviaire européen placent de grands espoirs sur ce dispositif, qui non seulement simplifierait et rendrait plus sûres les manœuvres d’attelage des wagons, après plus d’un siècle de tentatives, mais contribuerait aussi à rendre « intelligents » les trains de fret.
Dans le fond, l’Europe a peut-être bien fait d’attendre, du moins jusqu’à présent. Car le Vieux continent, qui reste le dernier dont les trains de fret sont très majoritairement dépourvus de système d’attelage automatique, pourrait devenir le premier à mettre en œuvre un système d’attelage automatique numérique, dit DAC (pour Digital Automatic Coupler).
L’adjectif « numérique » fait ici toute la différence, non seulement avec l’attelage à vis encore majoritairement mis en œuvre pour coupler les locomotives et les wagons entrant dans la composition des trains de fret européens, mais aussi avec les dispositifs automatiques adoptés depuis longtemps à travers le monde, tel le SA3 (réseaux ex-soviétiques et africains, trains de minerais en Suède et Norvège) ou l’attelage AAR (réseaux nord-américains), voire avec les barres d’attelage de trains de fret lourds (Pologne…).
Automatique et numérique
En effet, le DAC fait entrer les trains de fret européens dans une nouvelle dimension : outre un couplage mécanique déjà assuré par les solutions en œuvre sur les autres continents, le nouvel attelage jouerait aussi un rôle dans la conduite de l’électricité, de l’air et des données sur toute la longueur du train, ce qui permettrait par exemple une adoption du freinage à commande électrique.
En outre, avec un tel attelage, le wagon isolé pourrait retrouver un intérêt : outre le fait qu’il ne serait plus nécessaire d’envoyer du personnel effectuer des manœuvres pénibles et dangereuses, la logistique et la maintenance seraient facilitées par la connaissance des données en provenance de capteurs installés dans les trains.
Et l’Europe, en passant du XIXe au XXIe siècle, se retrouverait finalement en avance sur les réseaux qui se sont modernisés au XXe siècle ! Au cours du siècle dernier, les tentatives de passer à l’attelage automatique n’avaient pourtant pas manqué en Europe, il y a 50 ans en particulier. Par la suite, un nouveau dispositif a été testé il y a 20 ans.
Un demi-million de wagons concernés
« Une des choses qu’il faut accepter, c’est que les choses ne bougent pas d’une journée à l’autre », résume Peter Reinshagen, directeur général du loueur de wagons Ermewa. « Le couplage automatique a été sur la table depuis 100 ans et on a déjà essayé par deux fois de l’introduire en Europe. Ça n’a pas marché, mais ce n’est pas une raison pour ne pas lancer un troisième essai, parce que c’est ça qu’il nous faut. »
Ce nouvel essai a démarré en 2020, dans le cadre du projet pilote mené par le consortium DAC4EU, pour Digital Automatic Coupling for Europe. DAC4EU regroupe les entreprises ferroviaires DB (Allemagne), CFF Cargo (Suisse) et Rail Cargo Group (ÖBB, Autriche), ainsi que les loueurs de wagons Ermewa, GATX et VTG, avec un financement de 13 millions d’euros apporté par le ministère fédéral allemand des Transports et Infrastructures numériques. Quatre types d’attelages, fournis par CAF (type SA3), Dellner (apparenté au Scharfenberg), Wabtec Faiveley Transport (type Schwab) et Voith (type Scharfenberg) – ont été testés ; c’est le dernier qui a été retenu, en septembre 2021, pour devenir le standard pour l’ensemble des pays européens.
Et un an plus tard, le nouveau dispositif a été présenté au public à l’occasion du salon Innotrans à Berlin, trois mois après une démonstration à destination de décideurs européens en gare de Strasbourg. Et tous les acteurs du fret ferroviaire européen sont les bienvenus à participer au programme EDDP (European DAC Delivery Programme), qui vise une mise en œuvre du nouvel attelage d’ici 2030 au plus tard, le déploiement devant commencer en 2026.
Près d’un demi-million de wagons doivent être équipés à terme, plus précisément 460 000 wagons, dont 210 000 dits « core business » et 250 000 en trains blocs. La stratégie à suivre serait plutôt un Big Bang sur une partie réduite du parc, sans phase intermédiaire d’interopérabilité, pour des raisons d’efficacité et de sécurité.
Des bénéfices multiples…
Avant les avantages techniques évidents du DAC et ses bénéfices financiers, plus indirects, « il faudrait mettre en avant l’aspect sécurité », souligne Raphaël Doutrebente, directeur général d’Europorte et porte-parole de 4F (Fret Ferroviaire Français du Futur). « L’attelage, ce sont des manipulations, des douleurs, des gestes répétitifs ».
Soit deux heures de gagnées sur un triage ! Les gains de temps seront sans doute plus élevés avec le DAC5, qui permet un découplage télécommandé, qu’avec le DAC4, qui n’offre pas cette fonction.
Côté exploitation, le DAC permet de remorquer des trains plus longs et plus lourds, même dans les limites imposées par les infrastructures existantes. Soit une charge payante augmentée… alors que moins de trains entraînent un gain de capacité pour le gestionnaire d’infrastructure. Et le contrôle de l’intégrité du train par le dispositif permettrait l’exploitation avec le système européen de sécurité ETCS niveau 3.
…qui ont un coût
Reste que passer à un tel attelage automatique reviendrait à quelque 17 500 euros par wagon et 25 000 euros par locomotive, ce qui impliquerait de débourser huit à dix milliards d’euros pour équiper près d’un demi-million de wagons et des dizaines de milliers de locomotives.
Et fournir de l’ordre d’un million de DAC (à raison de deux par wagon ou locomotive) représentera un investissement considérable pour les fournisseurs, parmi lesquels on devrait retrouver les concepteurs des modèles testés en 2020-2021… Il faut à ces industriels un business model, de même qu’à Fret SNCF, qui souhaite désormais passer au DAC, après avoir affiché une certaine frilosité il y a trois ans.
« Oui, c’est cher, mais qu’on ne se dise pas, dans 10 à 20 ans, “si on avait su ” », insiste un acteur du fret européen, qui qualifie le DAC de « principale innovation technologique proposée à notre secteur ses 10 dernières années ». Certains ont même évalué à quelque 200 euros par train et par trajet le coût des opérations que le DAC doit faire disparaître. « Dix milliards d’euros, oui, mais… », pour Frédéric Delorme, président de Rail Logistics Europe, les accidents du travail ont aussi un coût et le DAC rendrait moins pénibles les métiers du fret ferroviaire, tout en permettant leur féminisation. Sans risque de créer du chômage, car « on n’arrive pas à recruter ! »
Patrick Laval
La fin des manœuvres dangereuses
Avec le DAC, c’est la fin des manoeuvres pénibles et dangereuses accomplies depuis le XIXe siècle par le personnel. Plus personne n’a besoin de cheminer le long du train, ne serait-ce que pour noter les numéros de wagons, vu que la saisie de la composition du train serait automatisée, comme les essais de frein, le calcul du poids pour le freinage ou les transmissions d’informations sur les wagons et l’état de leur chargement…
Un attelage bien connu sur les trains de voyageurs
Ces dernières décennies, les trains classiques de voyageurs ont été progressivement remplacés dans de nombreux pays par des rames-blocs ou automotrices. Ces dernières sont généralement équipées d’attelages automatiques de type Scharfenberg, un nom déjà bien connu depuis un siècle pour équiper les trains de banlieue, les métros, voire les tramways. Aujourd’hui les attaches Scharfenberg sont produites par Voith.








