Le Maroc inaugure aujourd’hui sa première ligne à grande vitesse. Et devient le premier pays d’Afrique à se mettre dans le sillage ouvert par le Shinkansen, puis le TGV. Emmanuel Macron sera à cette occasion aux côtés du roi Mohammed VI. Grâce à la LGV, longue de 200 km, reliant Tanger à Kénitra, le grand port de Tanger ne sera plus qu’à 2h10 de Casablanca, la capitale économique du royaume. 2h10 au lieu de 4h45… quand tout va bien. Ce n’est pas toujours le cas. La ligne à voie unique connaissant beaucoup d’aléas d’exploitation, le trajet prend en fait souvent six heures.
La nouvelle relation dessert quatre gares neuves et monumentales : Tanger d’un côté, Casablanca Voyageurs de l’autre et, entre les deux, Kénitra et Rabat-Agdal. A l’issue d’une montée en charge progressive de 6 à 7 mois, la desserte atteindra un train par heure et par sens.
Le choix de l’axe Tanger – Casablanca n’allait pas de soi. L’autre option, pour commencer l’aventure de la grande vitesse, c’était Casablanca – Marrakech. Ce fut vraiment la volonté du roi d’arrimer Tanger et son port aux autres grands pôles économiques que sont Kénitra et Casa. On s’attend à ce qu’ensuite soit réalisé le prolongement Kénitra – Rabat. Les études préliminaires ont été faites. Pas impossible que ce prolongement de 55 km soit annoncé en ce jour inaugural.
L’ensemble du projet inauguré ce jeudi, matériel roulant compris, a coûté 2,1 milliards d’euros. La France en a financé 51 %, le Fonds arabe de développement économique et social 21 %, et le Maroc 28 %. Les 55 km suivants pourraient coûter environ 700 millions. Le prolongement nécessite deux énormes ouvrages d’art : un viaduc pour franchir le Bouregreg entre Rabat et Salé, puis, juste après, un ouvrage en souterrain pour ressortir à Rabat-Agdal
Pour la suite, troisième étape de la grande vitesse, plusieurs options sont envisagées : Marrakech – Agadir ; Casablanca – Marrakech (mais il y a déjà un doublement de la voie), et Rabat – Marrakech.
Parallèlement aux travaux de la LGV ont lieu des aménagements importants du réseau conventionnel : le doublement de la totalité de la voie entre Casablanca et Marrakech, permettant de gagner une heure dix entre les deux villes, passant de 3h30 à 2h20. Entre Kénitra et Casablanca, une troisième voie va être ouverte dans les jours qui viennent. Enfinun énorme travail est mené sur le triangle de Casa. 90 % du trafic ferroviaire marocain passe par ce nœud ferroviaire très important. des trains régionaux arrivant en cul-de-sac à Casa Port, tandis que des trains grandes lignes ; et maintenant les Rames à Grande Vitesse, passent par la gare traversante de Casa Voyageurs.
Tous ces aménagements n’empêchent pas des opposants de protester. Omar Balafrej, député FGD, qui voit dans le TGV un « modèle de l’ancien développement », déclarait au quotidien marocain L’Economiste, à la veille de l’inauguration : « L’ONCF est face à deux options. Soit appliquer le tarif réel avec des prix chers. Soit appliquer des tarifs bas. Dans ce cas, nous serons face à une ligne déficitaire qui devrait être compensée par le budget de l’Etat ». Le pari de l’ONCF n’est pas facile : l’entreprise nationale compte remplir en moyenne les rames à 70 % en pratiquant, selon le modèle aérien épousé par le TGV, le yield managment, et donc une réservation obligatoire qui n’est pas du tout dans les mœurs ferroviaires du pays. L’ONCF compte sur un trafic de 6 millions de voyageurs par an sur l’axe. A suivre.
La ligne attend maintenant ses voyageurs. Elle a commencé par se faire attendre. Comme souvent, le calendrier initial était très optimiste. Au bout du compte, la LGV a été réalisée en un temps que des professionnels jugent honorables. Le protocole a été signé en 2007. La SNCF a été désignée comme AMO en 2009. Les services commencent une dizaine d’années plus tard. Pas de quoi rougir, d’autant que deux ans de dérive ont été dus à un problème de libération foncière complexe, les titres de propriété n’existant pas toujours.
Techniquement, la ligne est proche des LGV françaises et tout particulièrement de la LGV Est, avec un ERTMS de niveau 2, une voie ballastée (le ballast de la voie marocaine reposant sur une couche de grave- itume).
La ligne a été réalisée, selon un connaisseur « au meilleur standard international, à des coûts parmi les plus bas du monde ». Pour le génie civil en effet, les entreprises ont soumissionné au moment de la crise, quand les prix étaient les plus bas. De plus, la main-d’œuvre marocaine et de 1 à 4 ou 5 fois moins chère que la main-d’œuvre française.
Plusieurs entreprises internationales de génie civil ont jeté l’éponge en cours de route. Résultat : 75 % du génie civil a été réalisé par des entreprises marocaines à des coûts marocains. La ligne revient en moyenne à 8,5 millions d’euros du km, alors que les prix moyens européens sont dans une fourchette de 15 à 20 millions.
Pour se préparer à la grande vitesse, l’ONCF a créé une direction de projet de ligne à grande vitesse (DPLGV) qui a assumé l’ensemble des dimensions : conception, construction, matériel roulant, offre, exploitation. Ces équipes projets se transforment en équipes opérationnelles au sein de l’ONCF. La SNCF a créé des binômes pour faire profiter les Marocains de son expérience, dans le cadre de ce que les Français vivent comme un « partenariat au long cours ». En témoigne dernièrement l’Institut de formation ferroviaire fondé à Rabat en 2015 qui forme chaque année à la fois des agents de la SNCF et des agents de l’ONCF. Ou la création d’une Société marocaine de maintenance des rames à grande vitesse. Ce partenariat, qui remonte à des décennies, fait de l’ONCF et de la SNCF deux entreprises ferroviaires très proches.
F. D.
Alstom très présent dans le ferroviaire marocain
Les Marocains ont donné à leur rame à grande vitesse le nom d’Al Boraq, du nom de la monture ailée qui selon la tradition musulmane emporta Mahomet de La Mecque à Jérusalem. Plus prosaïquement c’est, pour Alstom, un Avelia EuroDuplex, soit la troisième génération de TGV Duplex. Le même type de rame qu’a achetée la SNCF pour la desserte de Paris – Bordeaux, et qu’elle appelle L’Océane.
Si la base est la même, le train a été évidemment adapté aux conditions marocaines. La livrée extérieure du train, affirme, sur fond blanc, les couleurs du drapeau marocain, rouge et vert ; à l’intérieur, le carmin domine en première classe, le vert en seconde. D’un point de vue technique, Didier Pfleger, patron de la zone Moyen Orient Afrique et sud CEI d’Alstom, précise : « le filtrage de l’air est modifié du fait de la présence de sable, la climatisation est renforcée, les rames sont bi-tension : 25 kV et 3 kV ». Le 25 kV, c’est pour la LGV et le 3 kV pour continuer le trajet sur ligne classique. De plus, fait-il remarquer « les rames sont dotées du système de signalisation ERTMS d’Alstom, répondant au nom générique d’Atlas ».
Le constructeur a livré les rames à grande vitesse (RGV) à l’ONCF, « entre juin 2015 et juillet 2016 », rappelle Didier Pfleger. En avril dernier, souligne-t-il, lors de la période d’essais, « l’ONCF a établi sur la ligne nouvelle un record de vitesse ferroviaire d’Afrique, à 357 km/h ».
L’ONCF a acheté 12 RGV. Un communiqué de décembre 2010 faisait état de 14 rames, mais une option pour deux rames supplémentaires ajoutées aux douze fermes n’a pas été levée par les Marocains. Une fois passée la période de garantie, la maintenance sera assurée par l’exploitant.
A côté de ce contrat pour les RGV, Alstom a maintenu et renforcé sa présence au Maroc. Didier Pfleger précise : « La dernière des 124 rames de tramway construites par Alstom pour les lignes 1 et 2 du tramway de Casablanca doit être livrée en fin d’année. A La Rochelle, 22 rames supplémentaires sont construites pour le tramway de Rabat. En février de cette année, nous avons remporté un marché pour la fourniture de 30 locomotives Prima, après un premier contrat pour 20 Prima II en 2009. »
L’inauguration d’Al Boraq est-elle le signe d’un essor de la grande vitesse en Afrique ? Didier Pfleger, prudemment, souligne que « peu de pays d’Afrique ont la maturité ferroviaire du Maroc ». Il relève cependant que, « en Egypte, le président Sissi est très intéressé par la grande vitesse ». Le projet le plus emblématique est la LGV mer Rouge – mer Méditerranée (250 km/h – 534 km), dont l’appel à déclaration d’intérêt a été lancé fin décembre 2017. Quant au Maroc, il n’a pas dit son dernier mot, et a des projets d’extension de la grande vitesse, au sud, jusqu’à Marrakech et Agadir, et à l’est, vers Oujda, et la frontière algérienne.