Les opérateurs de fret rassemblés au sein de l’Afra voient d’un mauvais oeil la sanction qui risque de frapper Fret SNCF. Selon son président, Alexandre Gallo, également PDG de DB Cargo France, les conséquences pourraient être délétères pour le secteur. Selon lui, si Fret SNCF avait dans le passé des méthodes discutables, elle est désormais devenue «une société correctement gérée ». Entretien.
Ville, Rail & Transports : Comment réagissez-vous aux annonces du gouvernement sur le sort réservé à Fret SNCF ?
Alexandre Gallo : Il faut attendre de connaître la réaction de la Commission européenne avant de tirer des conclusions. Le scénario de discontinuité donne des gages à Bruxelles et permet de limiter la casse sociale pour Fret SNCF, ce dont on ne peut que se réjouir. Mais la Commission va-t-elle s’en contenter ? Que se passera-t-il si les conditions demandées sont plus restrictives ? Cela pourrait être délétère pour le secteur.
Les menaces qui pèsent sur Fret SNCF ne sont pas une bonne nouvelle, ni pour le marché, ni pour les chargeurs, ni pour l’environnement. Cela vient en contradiction avec les objectifs affichés de lutte contre le changement climatique. Et cela arrive au plus mauvais moment, alors que la situation a beaucoup changé : si, il y a une dizaine d’années, on avait l’impression que Fret SNCF essayait de conserver des parts de marché à tout prix, n’hésitant pas à se livrer à du dumping, ce n’est plus le cas aujourd’hui. C’est une société anonyme correctement gérée.
VRT : Le gouvernement a aussi annoncé des mesures additionnelles et prolongées pour soutenir le fret…
A. G. C’est bien sûr une bonne nouvelle mais elle arrive aussi au mauvais moment : le secteur a enfin une enveloppe pour investir et de la visibilité pour l’avenir. Mais pourquoi seulement maintenant ? Le silence assourdissant du gouvernement, pendant des mois, sur la situation du fret et toute sa politique en faveur de la route (subventions au gasoil, aides en faveur de la conversion à l’électricité des flottes de camions) questionnent. Est-ce un contre-feu pour faire passer le plan de sauvetage de Fret SNCF ? Les chargeurs nous disent ne plus comprendre : d’un côté on met Fret SNCF par terre, de l’autre on nous dit qu’on soutient le fret… On est tout de même en train de limiter le rayon d’action du plus gros opérateur de fret ferroviaire du pays. Avec le risque que la route reprenne des trafics car elle est actuellement en dessous de ce qu’elle pourrait faire. Les subventions dont elle bénéficie (contrairement à nous) lui donnent un avantage de plus sur le transport ferroviaire.
VRT : Les concurrents de Fret SNCF vont-ils récupérer ses trafics les plus rémunérateurs, comme le disent les syndicats ?
A. G. Cette affirmation est réductrice. On peut avoir des trafics courtes distances rémunérateurs et du fret longue distance qui perd de l’argent. Le transport combiné offre surtout une belle vitrine avec des services qui se font sur 800 ou 1000 km.
En réalité, le trafic de wagons isolés devrait devenir le plus rémunérateur avec les mesures de soutien additionnelles annoncées par le gouvernement. Ca va devenir intéressant, ça pourrait même susciter des vocations. C’est plutôt vertueux. En attendant, la hausse des subventions en faveur des wagons isolés va principalement profiter à Fret SNCF qui réalise 85 % du trafic. C’est aussi un moyen de soutenir la future société.
Propos recueillis par Marie-Hélène Poingt