Quelques jours après la fin des trottinettes en libre-service à Paris, Julien Chamussy, cofondateur de Fluctuo, startup spécialisée dans l’analyse des données des services de mobilité partagée, livre son analyse. Pour l’ex-directeur marketing de Smovengo (Vélib’), l’échec de régulation des trottinettes dans la capitale ne signe pas un échec commercial.
Ville, Rail & Transports : Les 15 000 trottinettes en libre-service ont été boutées hors de Paris. Selon vous, pourquoi ça n’a pas marché alors que ça se passe mieux ailleurs ?
Julien Chamussy : Tout dépend de ce que l’on entend par « ça n’a pas marché »… Si l’on prend en compte l’usage et la popularité des trottinettes partagées à Paris, cela a été un vrai succès pour Dott, Tier et Lime, les trois opérateurs : 18 millions de trajets entre août 2022 et août 2023, +20% en un an. Le service a été régulièrement utilisé par des Parisiens, des Franciliens, des touristes, et Paris était la première ville européenne en nombre de trajets effectués. En revanche, ce qui n’a pas fonctionné, c’est l’insertion de ce nouveau mode de transport dans l’écosystème parisien de mobilité, dans un espace public, et notamment une mauvaise cohabitation avec les autres usagers de la rue.
VRT : Cette composante est la même dans d’autres villes : il y a des piétons ailleurs qu’à Paris…
J.Ch : Oui et les trottinettes, ça ne se passe pas si bien que ça ailleurs… Dans toutes les capitales qui ont déployé des services de trottinettes partagées, les difficultés sont les mêmes (le maire de Marseille a décidé le 11 septembre de retirer un tiers de la flotte de trottinettes en libre-service, ndlr). Simplement, Paris est une ville très compacte et dense, contrairement à Berlin ou Londres, et le problème a donc été plus tangible. Mais ne nous leurrons pas, les problèmes que posent ces nouvelles mobilités, Rome ou Madrid les rencontrent aussi. Les difficultés ne sont pas spécifiquement parisiennes, mais c’est à Paris que la décision la plus radicale – l’interdiction pure et simple, par référendum – a été prise. En tout cas, jusqu’à présent… D’autres villes ont décidé de réduire le nombre d’opérateurs ou de véhicules, de fixer des plus contraignantes, de fermer certaines zones.
VRT : Lime, Tier, Dott n’auraient-ils pas pu éviter une histoire qui se finit si mal, sur leur plus gros marché de surcroît ?
Ch : Les opérateurs – et leurs clients – ont leur part de responsabilité. Les loueurs ont réagi avec un certain nombre de propositions, mais trop tard. La décision de la Ville de Paris est un signal d’alarme, ils ont senti siffler le vent du boulet, et ils vont rectifier le tir ailleurs. Ils ont perdu un marché emblématique, c’est une très mauvaise nouvelle commerciale et financière. Pour l’ensemble des opérateurs, la décision de Paris pourrait avoir un impact dans d’autres villes.
VRT : Est-ce une bonne nouvelle pour la décarbonation des transports et la mobilité douce ?
J. Ch : Il y avait une ambiguïté dans le référendum, et les gens qui ont voté contre s’attendaient à ce que toutes les trottinettes disparaissent de la capitale. Ils risquent d’être déçus, les ventes de trottinettes privées ne faiblissent pas, au contraire. Quant à la disparition des 15 000 trottinettes partagées, elle n’est pas du tout significative pour l’impact carbone des transports dans la capitale. Car leurs utilisateurs n’étaient pas d’anciens automobilistes ou motards, ce sont des gens qui auraient plutôt fait un trajet en taxi, en VTC, en transports collectifs, ou qui auraient marché. Mais les trottinettes partagées avaient créé de la demande et de nouveaux usages de mobilité, leur disparition aura donc un impact sur la mobilité douce : quels modes de transport vont remplacer les 30 000 à 60 000 trajets qu’elles assuraient chaque jour ? Les vélos partagés ?
VRT : Avec les mêmes écueils ?
J.Ch : Oui, potentiellement.
VRT : Le problème, c’est la trottinette et son usage, ou bien le libre-service ?
J.Ch : Les vélos partagés attirent une clientèle variée, la trottinette attiraient davantage les touristes et les jeunes. Velib’ c’est plutôt les 35-45 ans, CSP +, Parisiens, là où les trottinettes étaient plutôt utilisées par les 16-25 ans, jeunes actifs, étudiants qui goutaient au plaisir de la glisse (voir les derniers chiffres de l’Observatoire des mobilités émergentes, ndlr). Ce qui a provoqué les désagréments de la trottinette, ce n’est pas tant le véhicule que le profil des usagers : plus jeunes, ils prennent plus de risques, sont moins attentifs au respect des autres citoyens, un grand nombre n’ont pas le permis de conduire et ne connaissent pas le code de la route. Les vélos partagés vont profiter de la disparition des trottinettes en libre-service, Paris en compte déjà 18 000, mais les opérateurs augmentent leur flotte, c’est leur premier marché européen. Va donc se reposer le problème du stationnement, avec des amas de vélos dans les rues, comme au premier temps du libre-service. En revanche, le pli est pris : avec les pistes cyclables, on ne voit pratiquement plus de vélos sur les trottoirs.
VRT : Une voiture c’est plus dangereux qu’une trottinette, et pourtant, il n’y a pas eu de référendum : pour ou contre les voitures à Paris ?
J. Ch : On a du mal à accepter un nouveau véhicule dans notre environnement urbain alors qu’on accepte les voitures, les scooters, les motos dont les usagers ont parfois un comportement dangereux. Il n’y a pas eu de référendum sur la place de la voiture à Paris, sur la limitation de la vitesse à 30 km/h, ou sur une ZFE dans les arrondissements du centre, politiquement plus incertains… Le résultat de la consultation citoyenne sur les trottinettes était connu d’avance…
Propos recueillis par Nathalie Arensonas